Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/138

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il n’y a plus d’espoir, que l’âme de son fils a disparu à tout jamais, qu’il ne reste plus qu’à souhaiter la destruction de la bête, car « un fou, c’est un mort vivant qui paie une grosse pension. » Enfin, Mme Garsonnet, déjà accourue une première fois et détournée par M. Royer-Collard de voir son mari, revient, réussit à lui parler, va sur sa demande chercher l’acteur Got, qui accourt, se démène et le fait mettre en liberté.

A force de persévérance, M. Garsonnet avait intéressé à sa cause quelques députés : en 1870, MM. Gambetta et Magnin présentèrent au corps législatif un projet où ils dénonçaient violemment la médecine aliéniste, qui, disaient-ils, « a fait la loi, qui l’applique et qui en vit... Qui sait si l’on ne craint pas, en ébranlant l’édifice de 1838, d’y trouver le crime sous chaque pierre?.. Si la folie n’est pas rigoureusement interprétée, les variétés de folie élastiquement interprétées équivaudront à des catégories de suspects dans lesquelles personne ne sera sûr de n’être pas compté. Permettez à l’école aliéniste d’élever à la hauteur d’un principe de jurisprudence cet aphorisme : La folie n’est visible qu’à l’œil de l’homme de l’art! dites quel Français est sûr de ne pas coucher ce soir à Charenton. » De ces prémisses étranges MM. Gambetta et Magnin déduisaient la nécessité de réduire le médecin au rôle de simple expert, d’effectuer tous les placemens d’office dans les asiles publics, de constituer un jury spécial pour la constatation de la folie ; la mode était alors au jury, cette garde nationale judiciaire, et les auteurs du projet oubliaient trop vite que la nullité suit la mode, que la prétention l’exagère, que le goût pactise avec elle.

À ces clameurs excessives, à cette fantasmagorie de mots, les esprits éclairés se contentaient d’opposer les armes du bon sens et de l’expérience : « Ce n’est pas le médecin, répondait-on, c’est la folie elle-même qui prive de la liberté. » Que fait l’aliéniste, sinon la reconnaître, qui le peut mieux et plus sûrement que lui? Comment la loi résout-elle le problème de la séquestration ? Par le triple concours de l’administration, de la magistrature et du corps médical. Où trouver l’ombre d’une délégation du pouvoir judiciaire au médecin ? Pourquoi ne chercher dans les asiles que des prisonniers et des victimes au lieu d’y voir surtout des malades? Attente-t-on à la liberté de celui qui est devenu l’esclave du délire, qui n’a plus son libre arbitre, la responsabilité de ses actes? Le docteur Morel allait jusqu’à prétendre que c’étaient quatre ou cinq monomanes atteints de folie raisonnante, comme Sandon, qui avaient fomenté ce tumulte factice ; la plupart des médecins et magistrats, interrogés dans l’enquête de 1869, devant les commissions parlementaires ou extra-parlementaires, déclaraient ne pas connaître un seul cas de séquestration arbitraire, pas un seul abus juridiquement constaté.