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les droits de la liberté individuelle et ceux de la famille; celle-ci ne doit pas pouvoir s’entourer d’un mur infranchissable du moment qu’un de ses membres reste emprisonné derrière ce mur; ainsi l’a-t-on compris en Angleterre, en Belgique, en Norvège. Quelqu’un a posé cette énigme troublante : « s’il suffisait de lever le doigt pour tuer à trois mille lieues un mandarin qui vous laisse un million, le feriez-vous? » Combien, hélas! voient dans leur parent aliéné vivant à côté d’eux le mandarin qui s’oppose à leur fortune, contre lequel ils lèveraient le doigt, peut-être plus encore !


IV.

Les asiles publics qui, financièrement, dépendent des départemens, reçoivent les aliénés curables et incurables, les indigens et les pensionnaires ; s’ils n’atteignent pas le confortable, la magnificence des asiles anglais, ils ont néanmoins réalisé des progrès considérables[1]. Douze seulement ont à leur tête un directeur administratif, les autres sont sous l’autorité du médecin en chef: dorénavant tous seraient soumis au seul médecin directeur responsable, à moins que leur importance ne nécessitât la séparation des fonctions : ainsi l’article 4 du projet érige en principe un fait que la force des choses, l’intérêt des aliénés, ont, malgré de vives oppositions, établi presque partout en pratique, à l’étranger comme chez nous. On a objecté que les spécialistes en général sont d’assez pauvres administrateurs, que, débarrassé des soucis administratifs. de la gestion des intérêts matériels, le médecin a plus de temps, plus de liberté d’esprit pour se consacrer à ses malades. Peut-être; mais n’est-on pas fondé à répondre que tout, dans un asile, converge vers le même but? Le traitement, outre les moyens pharmaceutiques, comprend la discipline intérieure, la nourriture, les promenades, les congés d’essai, les exercices physiques, les distractions même. Tel malade bénéficie d’un plaisir qui exalte le délire de tel autre; le travail, si celui qui le répartit n’est pas imbu de ces idées, deviendra bientôt une simple exploitation; le surveillant, oubliant son rôle d’infirmier, voudra jouer au contremaître; l’aliéniste, s’il réclame pour son malade une nourriture exceptionnelle, se la verra refuser totalement. Le directeur non médecin tendra à spéculer sur les prix

  1. L’asile Saint-Robert, près Grenoble, est tout simplement un chef-d’œuvre, écrit le docteur Petit; avec ses pavillons séparés, entourés d’arbres, d’arbustes et d’une profusion de fleurs, il a l’air d’une villa d’agrément... il renferme actuellement 850 aliénés; dans le quartier des femmes, où se trouve la buanderie, soixante femmes environ lavaient le linge de l’établissement sans qu’on entendît un seul mot, chose assurément fort rare dans une réunion de femmes mêmes sensées... Bon nombre d’aliénés calmes conservent toute leur intelligence quand il s’agit du métier qu’ils exerçaient avant d’être atteints de la folie... »