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les conditions où les meurtres se commettent, j’ai le droit d’affirmer devant le magistrat que l’impulsion au crime a été presque certainement le résultat du choc épileptique ; je dis presque certainement si je n’ai pas vu l’attaque ; mais si j’ai vu, si des témoins ont vu le grand accès ou le vertige comitial précéder immédiatement l’acte incriminé, j’affirme alors d’une manière absolue que le prévenu a été poussé au crime par une force à laquelle il n’a pu résister, ce qui l’absout aux termes de l’article 64 du code pénal. » D’autres aliénistes jugent ces propositions trop dogmatiques, trop tranchantes, et l’on comprend que la justice hésite à suivre la science sur ce terrain mystérieux, plein d’abîmes moraux, et si mal exploré; on le comprend d’autant mieux, que c’est la simulation de l’épilepsie[1] qui fournit le principal contingent des folies simulées ; qu’il s’agit en quelque sorte, pour le code pénal, d’être ou n’être pas. Plus d’un magistrat soucieux de l’ordre public a dû se rappeler cette explication naïve du juge anglais condamnant un homme à mort pour le vol d’un mouton, au temps où ce crime encourait la peine capitale : « Je ne vous condamne pas à être pendu pour avoir volé un mouton, mais pour qu’on ne vole plus de moutons à l’avenir. » Sur 28,000 épileptiques qui vivent en liberté, le docteur Lanier estime que 10,000 environ devraient être internés, ou du moins hospitalisés. Entrant largement dans cette voie, la commission sénatoriale propose que l’état fasse construire des établissemens spéciaux pour l’éducation des jeunes idiots ou crétins et pour le traitement des épileptiques. Le gouvernement a l’air de reculer devant la dépense, qui serait en partie supportée par les départemens et les pensionnaires. Mais ne vaut-il pas mieux consacrer quelques millions au soulagement d’une grande infortune que de gaspiller des milliards à laïciser des écoles, des hôpitaux, à construire des chemins de fer sans voyageurs et des canaux sans trafic?


V.

Est-ce Hamlet qui a offensé Laërte? Ce n’a jamais été Hamlet, — Si Hamlet est enlevé à lui-même, — Et si n’étant plus lui-même, il offense Laërte, — Alors ce n’est plus Hamlet qui agit, Hamlet renie l’acte. — Qui agit donc? Sa folie. S’il en est ainsi, — Hamlet est du parti des offensés : — Le pauvre Hamlet a sa folie pour ennemie.


C’est dans ce beau langage, qu’il y a tantôt trois siècles, le grand tragique pose, résout le redoutable problème de la folie criminelle.

  1. A Bicêtre, le plus célèbre des simulateurs, Gautreau, a réussi, pendant trois ans, à tromper les aliénâtes.