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l’accepter comme régulateur de ses décisions, de lui laisser le rôle de la lice de La Fontaine, car


Laissez-leur prendre un pied chez vous,
Ils en auront bientôt pris quatre.


Qu’a-t-on fait en France, que doit-on faire, que propose-t-on pour les fous criminels? Il faut tout d’abord distinguer deux catégories bien tranchées : les condamnés devenus aliénés pendant qu’ils subissent leur peine, les aliénés dits criminels, ceux qui n’ont pas été condamnés, malgré leur action, à cause de leur état mental. Quant aux premiers, le gouvernement a installé à Gaillon, en 1876, un quartier spécial annexé à la maison centrale, dans lequel ils sont transférés après enquête; le projet consacre l’existence de ces quartiers pour les deux sexes. La statistique établit de frappantes affinités entre le crime et la démence et parmi les habitans des maisons pénitentiaires, relève un assez grand nombre de cas de folie pénitentiaire : sur 43, 000 individus dont 8,500 accusés de crimes et 34,500 prévenus de délits, le docteur Vingtrinier[1] mentionne 255 fous, parmi lesquels 82 furent condamnés sans aucun avis ou malgré l’avis des médecins. Sur 18.000 individus qui forment aujourd’hui la population des prisons, on compte environ 290 aliénés. Des circulaires ministérielles ont constaté que des condamnés étaient séquestrés peu de jours après leur jugement, ce qui porte à supposer qu’ils ne jouissaient pas de la plénitude de leurs facultés lorsqu’ils ont comparu devant les tribunaux : d’autre part, l’examen du médecin de la prison laisse fréquemment à désirer. L’avis de la commission départementale corrigerait ces erreurs, et, grâce à ce surcroit de précautions, aux garanties de savoir, de haute impartialité que présenterait le médecin-secrétaire, on épargnerait à l’administration des dépenses assez considérables. Le quartier de Gaillon est exclusivement réservé aux détenus aliénés ou épileptiques condamnés à plus d’un an de prison : on ne les emploie à des travaux industriels ou agricoles que sur la proposition du médecin, qui doit être consulté aussi en ce qui touche le régime disciplinaire et alimentaire : deux mois au moins avant la date de la libération, on statue sur la mise en liberté, le renvoi à la famille, à des institutions charitables ou dans un asile. Le quartier peut recevoir cent vingt détenus, mais en fait plus de quarante places demeurent habituellement vides, résultat qui s’explique par l’attention avec laquelle on écarte les cas de démence sénile ainsi que les condamnés qui simulent la folie ou l’épilepsie. L’installation générale,

  1. Mémoire sur les aliénés dans les prisons et devant la justice.