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quel prix ce qu’il possédait pour réunir les fonds nécessaires au voyage. Et, cependant, en mai, on n’avait encore reçu à San-Francisco que quelques livres du précieux métal. En juin et en juillet, il en arrivait pour 250,000 piastres (1,250,000 fr.) ; en août et septembre, pour 3,000,000 de francs.

A la fin de l’année 1848, San-Francisco était vide, les navires abandonnés, et 6,000 mineurs fouillaient avec acharnement les cours d’eau, les rivières, les sables, trouvant de l’or toujours et partout. La fièvre gagnait les états de l’Est : les récits les plus étranges, les nouvelles les plus fabuleuses enflammaient les imaginations ; d’interminables caravanes d’émigrans quittaient le Missouri pour gagner la terre promise. On faisait argent de tout. On entassait sur les grands chariots de l’ouest, véritables forteresses roulantes, percées de meurtrières, capables de soutenir un siège contre les Indiens, traînés par dix paires de bœufs, les vivres, vêtemens, armes, provisions pour un voyage de six mois à travers les plaines, les forêts, les déserts et les Montagnes-Rocheuses. On y chargeait les ustensiles de mineurs, pics, pioches, couvertures, tentes, et on partait, sans hésitation, droit vers l’ouest, s’orientant à la boussole, abandonnant sans regrets champs et vieux parens, femmes et enfans en larmes, oubliant tout dans le prestigieux mirage d’une fortune dépassant tous les rêves. Lentement, péniblement, on franchissait les prairies, arrêté parfois des semaines entières par des fleuves débordés, semant la route de cadavres de bêtes surmenées et d’hommes défaillans, luttant contre les Indiens et contre la nature, poussant toujours de l’avant, souvent faute de pouvoir retourner en arrière.

Combien de ces hardis émigrans sont morts de faim dans la rude traversée des Montagnes-Rocheuses ! Combien ont succombé à la soif dans l’atroce désert du Colorado où chaque pas soulève une fine poussière alcaline qui dessèche la gorge et brûle les yeux, où pendant cinquante heures de marche ininterrompue on ne trouve ni une goutte d’eau, ni un brin d’herbe pour abreuver et soutenir bœufs et mules épuisés par l’ardente chaleur de la journée et le froid vif de la nuit ! On ne s’arrêtait pour personne. Malheur à celui que ses forces trahissaient et qui tendait à ses compagnons de route ses mains suppliantes ! Le chef de la caravane, ancien trappeur ou chasseur des prairies, choisi comme le plus énergique et le plus expérimenté, cheminait en tête, armé jusqu’aux dents, réglant les étapes, impassible, dur à lui-même comme aux autres, sachant que sa vie et celle des siens dépendaient de l’inexorable discipline qu’il leur imposait, qu’un retard pouvait compromettre le campement du soir, la nourriture et le repos des animaux, sans lesquels ils périraient tous dans ces solitudes.

Quand, du sommet des Montagnes-Rocheuses, ils voyaient se