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et les avantages de l’humilité. Pour la première fois, beaucoup d’entre eux se trouvaient en contact avec cette race blanche dont ils reconnaissaient la force, mais dont ils méprisaient les coutumes, les mœurs, les lois, si différentes des leurs dont les origines se perdaient dans la nuit des temps, race de parvenus sans traditions, sans rites, sans gouvernement stable, incapable, suivant eux, d’asseoir sur des bases solides un système philosophique, religieux ou politique comparable aux leurs, qui défiaient les siècles. Lentement, comme une tache d’huile, ils s’étendaient, ils augmentaient en nombre. Chinatown, la ville chinoise, posait au cœur même de San-Francisco, encore à l’état d’embryon, ses solides assises, menace redoutable pour l’avenir.

L’Océanie était représentée par les Canaques des îles Sandwich, excellens marins, gens simples et bons, rudes travailleurs à leurs jours, paresseux et indolens dans la prospérité, et ne reprenant la pioche que lorsque leur dernière once avait passé aux mains du storekeeper qui les approvisionnait. Puis des nègres, déserteurs ou affranchis des plantations du sud, des mulâtres de Cuba, des Indiens de Calcutta, et enfin les vrais maîtres du pays, par la conquête et par les traités, les Américains de l’est, du sud et du nord, de New-York et de Boston, de la Nouvelle-Orléans et de Saint-Louis, du Missouri et de l’Ohio, agriculteurs et manœuvres, mineurs et politiciens, hommes de science et déclassés, docteurs et viveurs, avocats et journalistes, sortis des fermes, des comptoirs, des maisons de banque et des maisons de jeu, des campagnes et des villes, entraînés par le grand courant qui les poussait vers l’ouest.

À la fin de janvier 1849, du seul port de New-York, quatre-vingt-dix navires, portant 8,000 émigrans, avaient fait voile pour San-Francisco. Soixante-dix autres se préparaient à lever l’ancre. « Jamais, écrivait le docteur Stillman, rien de pareil ne s’est vu. Il n’y a pas ici de famille qui ne compte un ou plusieurs émigrans. Dans toutes les villes s’organisent des compagnies minières et commerciales ; ceux qui ne partent pas souscrivent. Les éditeurs de journaux publient articles sur articles pour dissuader les jeunes hommes d’émigrer ; ils les engagent à se contenter d’un gain modeste auprès de leurs familles, ils leur rappellent que les seules fortunes solides sont celles qui s’acquièrent lentement, par l’ordre et l’économie ; puis le lendemain ils jettent leur plume, vendent leur journal, réalisent tout ce qu’ils peuvent, obsèdent les compagnies de navigation pour obtenir, en leur qualité de journalistes, un passage gratuit, et partent. Les ministres de l’évangile, nouveaux Cassandres, font retentir les églises de leurs anathèmes contre la soif de l’or ; puis ils s’embarquent comme missionnaires