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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/198

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admise comme état dans l’Union. Un conseil municipal et un maire furent élus ; MM. Gwin et J.-C. Fremont, nommés sénateurs partirent pour Washington, porteurs d’un projet de constitution qu’ils devaient soumettre au congrès des États-Unis, en sollicitant l’admission de la Californie. Cette constitution n’avait pas été adoptée sans lutte. Les premiers émigrans, originaires du Missouri, état à esclaves, avaient vivement insisté pour que l’esclavage fût reconnu dans le nouvel état, mais ils se trouvèrent en minorité ; aussi le projet de constitution soumis au congrès faisait-il de la Californie un état libre, comme les états de l’est.

L’antagonisme qui existait au sein du congrès entre les représentans des états à esclaves et les antiesclavagistes provoqua un débat violent. Chaque état de l’Union étant représenté au congrès par deux sénateurs, quel que fût le chiffre de sa population, et le nombre des voix se balançant à peu près exactement, l’admission d’un nouvel état pouvait déplacer la majorité. Les états du sud, longtemps prépondérans, se sentaient menacés par les partisans de l’abolition de l’esclavage, représentans des états du Nord, dont l’influence et le nombre grandissaient. Aussi le bill d’admission de la Californie rencontra-t-il une forte opposition ; les chefs du sud menacèrent même leurs adversaires de rompre le pacte fédéral si l’institution de l’esclavage était proscrite dans le nouvel état. Mais l’opinion publique eut raison de leurs résistances. Le 10 août 1850, 34 voix contre 18 votèrent l’admission de la Californie à titre d’état libre.

Du 2 février 1848, date du traité de Guadalupe-Hidalgo, au 10 août 1850, en vingt-six mois, quel chemin parcouru ! Inconnu alors, l’état nouveau est déjà célèbre dans le monde entier ; le nom de San-Francisco est sur toutes les lèvres, synonyme de fortune rapide, inouïe. Une ville nouvelle vient de naître dans des conditions qui tiennent du prodige et, jour par jour, heure par heure, elle grandit comme jamais ville n’a grandi avant elle. Assise, comme la Rome antique, sur ses collines de sable, elle voit accourir à elle les aventuriers du monde entier, les impatiens de vie libre, les ardens, tous jeunes, vigoureux ; avec eux et derrière eux des flottes entières, sorties de tous les ports du monde, affluent dans cette baie déserte, jetant sur cette plage aride les produits de toutes les industries. Le monde entier s’ébranle, l’auri sacra fames l’entraîne, il marche vers l’ouest, vers la ville de l’or.


C. DE VARIGNY.