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et les loustics n’ont pas manqué pour accompagner la manœuvre de leurs grossières plaisanteries.

y a surtout deux traits curieux dans cette étrange discussion. On dirait que les républicains d’aujourd’hui ont oublié tout ce qu’ont I ensé et soutenu les libéraux de tous les temps, et il n’y a pas à se donner la peine d’interpréter leurs sentimens, ils avouent eux-mêmes, avec une étonnante crudité, leur ignorance ou leur haine de toutes les garanties libérales ; ils ont l’arrogant cynisme de leurs apostasies. Ils publient tout haut, en plein débat parlementaire, le mépris des minorités, ils mettent sans façon des classes de citoyens hors la loi. Leur oppose-t-on les conseils municipaux, ils se moquent de ces modestes assemblées ; ils ne s’occupent des conseils municipaux que pour leur imposer des charges sans les consulter. Leur parle-t-on des pères de famille, ils leur refusent le droit de surveiller l’éducation de leurs enfans. M. le ministre de l’instruction publique, lui-même, ne craint pas d’avouer que les instituteurs, selon la loi nouvelle, ont une mission politique, qu’ils sont chargés de faire des républicains, de façonner des cerveaux républicains. — Quoi donc ! disent ces réformateurs, est-ce qu’à côté de l’enseignement de l’état il n’y a pas l’enseignement libre ? Oui, vraiment, on n’interdit pas d’une manière absolue les écoles libres ; seulement on prend toutes les mesures pour rendre le recrutement des maîtres de ces écoles impossible, on entoure les instituteurs d’entraves, de surveillances, de suspicions, de restrictions ; on les soumet, s’ils sont en faute, à des juridictions ennemies, on les enlace de toute façon et on leur dit ensuite : « Maintenant vous pouvez marcher, vous êtes libres. » Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que les républicains d’aujourd’hui parlent encore quelquefois avec un certain dédain du passé, des régimes monarchiques d’autrefois ; mais il n’y a pas un seul de ces régimes dont les abus ou les excès d’opinion n’aient été dépassés, qui eût osé faire ce qu’on fait aujourd’hui. Qu’aurait-on dit, même sous le dernier empire, si des maires s’étaient permis de menacer de destitution de modestes fonctionnaires municipaux qui auraient envoyé leurs enfans à des écoles libres ? Voilà cependant ce qu’on appelle le progrès ! Il est certain que nous sommes loin de ces temps que M. Mézières rappelait ces jours derniers, avec une généreuse élévation de parole, à une cérémonie de commémoration de M. de Serre, de cette époque où régnaient les idées libérales que soutenait tout le premier l’éloquent et royaliste garde des sceaux de 1819, qui étaient l’honneur et la parure d’une génération.

Politiquement cette loi sur l’enseignement primaire qui vient d’être votée au Palais-Bourbon est donc le signe douloureux et inquiétant d’une singulière altération de toutes les idées, de tous les sentimens du droit et de la liberté ; mais ce n’est point là encore peut-être ce qu’elle a de plus grave. La vérité est que cette loi, œuvre manifeste