Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pour quelques-uns qui ont résisté à tout et que l’âge même ne dompte pas, qui restent debout à travers les commotions, vigoureux champions des causes victorieuses, combien d’autres ont disparu de ce monde ou se sont éclipsés même avant de mourir ! Le comte de Beust, qui vient de s’éteindre un peu oublié dans une paisible retraite, aux environs de Vienne, a eu son jour. Il a été mêlé, pendant une partie de sa vie, aux plus graves événemens du temps ; il y a joué son rôle en homme d’esprit et de ressource, qui a pu passer pour représenter, à un certain moment, une tradition, une politique, qui a figuré sur tous les théâtres, tour à tour ministre du petit royaume de Saxe et chancelier d’état de l’empire d’Autriche. C’était un diplomate de l’ancienne école des Metternich, des Nesselrode, maniant les affaires avec art, alliant la ténacité à la souplesse. Les circonstances ne l’ont pas toujours favorisé. Il a eu dans sa carrière l’apparence et l’illusion plus que la réalité des grands rôles.

Né à Dresde en 1809, d’une famille originaire du Brandebourg, éleyé dans les universités de Goettingue et de Leipzig, M. de Beust était entré, dès sa jeunesse, dans le service diplomatique du royaume de Saxe et il avait commencé sa carrière comme attaché ou secrétaire tour à tour à Munich, à Londres, à Paris, à Berlin. Ce n’est qu’après les révolutions de 1848 et 1849 que, rappelé à Dresde et signalé déjà par ses talens, par son esprit résolu, il entrait au gouvernement, où il prenait rapidement la première place. Ministre des affaires étrangères, président du conseil sous le roi Jean comme sous son prédécesseur, il devenait pour plus de dix années l’inspirateur, le chef dirigeant de la politique saxonne. A la vérité, M. de Beust se sentait déjà peut-être un peu à l’étroit à Dresde. Il cherchât volontiers les occasions de se montrer, de se mêler aux affaires européennes, de faire de la grande politique dans un petit cadre. Il rêvait pour la Saxe un rôle plus actif ; il ne cachait pas son ambition de faire pénétrer, avec son influence, un esprit nouveau dans la vieille Confédération germanique, de former avec les états moyens et petits un groupe indépendant, une « troisième Allemagne » entre l’Autriche et la Prusse. Le ministre saxon avait une politique qui pouvait n’être pas sans valeur : il voulait mettre l’Allemagne en mesure, soit de se défendre contre la tutelle oppressive de la Prusse et de l’Autriche, soit de garder une certaine indépendance d’action, en vue des conflits éventuels entre les deux cours qui, jusque-là, avaient exercé en commun leur prépotence dans les affaires allemandes.

C’était le secret d’une réforme fédérale qu’il proposait dès 1861, par laquelle il croyait faire face à tous les dangers, et c’est avec cette idée, avec cette illusion, si l’on veut, qu’il arrivait à l’époque où éclatait la déplorable, l’inique guerre contre le Danemark pour les duchés de l’Elbe. M. de Beust se flattait peut-être encore de maintenir l’au-