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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/302

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qui comptait peu de catholiques, nous n’eussions pas invité le duché d’Oldenbourg, qui en possédait trois fois plus. Il s’étonnait que nos invitations fussent descendues jusqu’au Luxembourg et il se demandait s’il pouvait lui convenir de siéger avec un état de ce rang. Il prétendait qu’on le conviait à une société mêlée : « Il me répugne, disait-il, de prendre place dans un quadrille sans bien connaître mes vis-à-vis. — Un grand gouvernement comme celui de la Prusse, ajoutait-il en se redressant, ne peut paraître dans un conseil européen sans avoir arrêté d’avance son attitude et ses résolutions ; or, nous ignorons non-seulement dans quel sens, mais même dans quelles vues seront conçues vos propositions. »

Le comte de Bismarck abusait de nos embarras pour nous faire d’ironiques leçons. Il n’était pas de ceux qu’une rapide et vertigineuse fortune rend accommodans. Exempt de vulgaires faiblesses, il était par momens comme subjugué par un immense orgueil. On eût dit qu’il voulait par ses hauteurs faire oublier les défaillances passées de la politique prussienne. Les grands hommes se donnent volontiers le plaisir des dieux ; il ne faut pas les guetter de trop près, disait Montaigne.

M. Benedetti, par le fait de nos irrésolutions au mois de juillet 1866, à une heure décisive pour nos destinées, en était réduit aujourd’hui à soutenir une lutte inégale avec un adversaire triomphant. Les instructions de son gouvernement étaient vagues ; elles le laissaient désarmé, il n’avait pas de programme à formuler, il ne connaissait pas le fond de la pensée de son souverain et il ne connaissait que trop celle du ministre prussien. Il savait qu’il lui fallait une Italie troublée pour nous paralyser sur le Rhin, et qu’il espérait, avec l’aide du parti révolutionnaire, provoquer, à l’heure des rencontres suprêmes, une violente rupture entre Paris et Florence[1].

« Si vous déclinez notre invitation, dit-il, on s’imaginera que la question romaine vous sert de moyen pour nous créer des difficultés et nous empêcher d’en sortir. » M. Benedetti se donnait la satisfaction de montrer à M. de Bismarck qu’il lisait dans son jeu et qu’il n’était pas dupe de ses raisonnemens.

Le ministre protesta de son bon vouloir, ses volte-faces étaient rapides. Il avait si peu l’intention de nous contre-carrer qu’il eût rejeté, séance tenante, sans même l’examiner, la proposition d’un congrès si elle n’était pas venue du gouvernement de l’empereur. Il regrettait, dans notre intérêt, de nous voir mettre en avant et poursuivre une idée qui n’avait l’assentiment d’aucune puissance et qui, d’après lui, n’avait aucune chance d’aboutir. Il ne croyait pas à la sincérité de nos invités. « La Russie, disait-il, a pu adhérer

  1. M. Benedetti, Ma Mission en Prusse.