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de ce qu’on appelle l’incidence de l’impôt. Il ne serait unique que de nom, frappant en fait sur des revenus divers, et de telle sorte que tantôt le poids retomberait sur celui qui les possède et tantôt serait rejeté par celui-ci sur d’autres personnes, selon l’état de l’offre et de la demande. Ainsi, une taxe établie sur les propriétaires peut se répartir sur les locataires en tout ou en partie par une augmentation du loyer. C’est qu’il ne suffit pas de décréter des impôts pour mettre la main sur le libre mouvement des transactions. Lorsque Franklin disait : « Quand on établit un impôt sur un marchand, il le met dans sa facture, » on peut démontrer au nom de l’incidence de l’impôt qu’il énonçait une demi-vérité. Il y a des circonstances où le marchand n’est pas maître. Lorsque M. Thiers semblait considérer les impôts indirects comme indifférens pour l’ouvrier, parce qu’il les faisait rembourser dans son salaire, c’était aussi une vérité sujette à caution, et qui cessait d’être vraie quand les patrons faisaient la loi, c’est-à-dire justement dans les temps de chômage. Il est donc tout à fait à propos de remarquer que, lorsque la démocratie avancée tend à taire porter la charge sur le capital, elle oublie que le capital a aussi ses crises, ses nécessités auxquelles l’oblige la concurrencent qu’il pourra être obligé de reprendre sur les salaires ou sur le nombre des ouvriers employés les taxes exorbitantes qu’on le condamne à supporter et sous lesquelles il risque de succomber s’il n’y échappe.

Non-seulement il y a le jeu de « l’incidence, » qu’on oublie sans cesse, mais il est de la nature de l’impôt, et surtout de certains impôts, d’ôter aux producteurs et aux consommateurs une partie de leurs ressources. L’erreur de l’école socialiste, — ou semi-socialiste, — c’est, comme M. Léon Say en fait la juste remarque, de croire qu’il y a dans les ressources de la société un superflu qui peut être employé à ses besoins ; c’est que le monde vit d’un produit brut et qu’il y a en dehors de ce produit brut un produit net, dont la propriété peut être revendiquée par la société tout entière. C’est une grave erreur, en effet. L’impôt prend sur l’avoir ou sur le revenu de chacun. Il diminue d’autant les ressources employées à la commande du travail ou à la formation du capital nécessaire au maintien et au développement des diverses industries et de la richesse générale. — Je n’ignore pas ce qu’on peut objecter. Assurément, les individus ne feraient pas toujours de leurs fonds l’usage le plus productif. Peut-être aussi ne remarque-t-on pas assez que les fonds reversés par l’état à ceux qu’il entretient peuvent retourner au travail et à l’épargne. Il y a peut-être ici chez les économistes quelque excès dans l’énoncé de doctrines qui traitent l’impôt avec une sorte de dureté, explicable au début par la réaction