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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/349

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car les idiomes dérivés n’ont pas la vitalité puissante des langues primitives, qui peuvent revivre sous de nouvelles formes. Ils sont engendrés, et n’engendrent point. Les dialectes dégénérés ou patois traversent la dernière période d’une vitalité amoindrie, inférieure, sans retour possible à la fraîcheur et à l’éclat de la vie; ils tombent de diathèse en cachexie, dépérissent et meurent.

Les troubadours à jamais disparus virent leur domaine s’étendre des bords de la Loire jusqu’aux rives de l’Èbre et du Tage. Artificielle ou non, leur poésie régnait sur une moitié de la France et de l’Espagne. Des deux côtés on composait des vers conformément à ces lois sévères, édictées, codifiées par les législateurs pédantesques du Parnasse. Des troubadours français versifiaient sur les choses d’Espagne; tel Guillaume Anelier qui chanta la guerre de Navarre ; tandis que Guillaume de Tudèle commençait le récit de la croisade contre les hérétiques albigeois et le conduisait jusqu’à la bataille de Muret (1213), laissant la suite de la narration à un continuateur qui lui ressemblait aussi peu par l’esprit que par la langue; car il est malaisé de classer l’idiome mixte du clerc de Navarre, où l’on sent déjà l’influence de la langue d’oïl ou des trouvères. C’est un Aragonais, M. Toribio del Campillo, savant bibliographe et bon écrivain, qui a le premier mis hors de doute la nationalité de l’auteur et l’authenticité du poème. Renversant l’ingénieux échafaudage d’hypothèses de Fauriel, premier éditeur de cette chanson de geste, il a rendu hommage au savoir et au talent de ce critique illustre qu’un autre a traité depuis de « littérateur sans précision. » Que n’avons-nous une demi-douzaine de ces érudits lettrés, tels que Raynouard, Daunou, J.-V. Le Clerc, Magnin, Génin, Labitte, Sainte-Beuve, Mérimée, qui savaient rendre l’érudition intéressante! Il ne faut que du jugement et du tact pour dispenser avec goût les trésors du savoir, sans recourir aux procédés géométriques ni aux formules rébarbatives. Qui ne se souvient de ces fortes et substantielles études d’E. Littré, un des maîtres qui ont le plus fait pour renouer l’antique alliance de l’érudition et des lettres? Les mêmes qualités d’exposition recommandent l’excellente monographie de feu Coll y Vehi sur la satire provençale, qui est comme l’introduction à l’ouvrage magistral du regrettable professeur Mila y Fontanals sur les Troubadours en Espagne, publié la même année (Barcelone, 1861), et après lequel M. Victor Balaguer a pu faire le sien sur la même matière. De ces consciencieux travaux, qui prouvent, soit dit en passant, que le chanoine catalan Bastero, le premier des provençalistes par la date, a fait école en Espagne, il résulte avec évidence que la poésie provençale fleurit au-delà des Pyrénées, non-seulement dans les pays de langue catalane, mais encore en Aragon,