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renoncer à l’espoir généreux et chimérique de conjurer par leurs efforts combinés l’irrémédiable dégénération d’un idiome profondément altéré, corrompu, dénaturé, gravement atteint dans toutes les parties de son organisme, partant d’une vitalité précaire, et destiné, tôt ou tard, à grossir la liste des langues mortes.

Cette situation grave appelle l’attention sur un passé qui ne fut pas sans gloire et sur les tentatives de rénovation qui se produisent depuis un peu moins d’un demi-siècle.


II. — L’ANCIENNE LITTÉRATURE CATALANE.

A première vue, la littérature catalane paraît encombrée d’un nombre infini de poètes ; mais, en y regardant de plus près, il est aisé de voir que la plupart ne sont que des versificateurs plus ou moins habiles, qui continuent comme ils peuvent la tradition provençale. Ce n’est pas chez eux qu’il faut chercher l’originalité, car ils ne vivent que d’imitations et de réminiscences, d’emprunts même, pour rester plus fidèles aux préceptes de l’art qu’ils cultivent avec un zèle orthodoxe qui ressemble fort à la dévotion. Leur pensée se cristallise en des formes convenues, de sorte qu’ils semblent presque tous sortir du même moule. De là une monotonie désolante. A peu d’exceptions près, cette partie de la littérature catalane est trop artificielle pour offrir le vrai caractère des aptitudes littéraires de la race. Sans la négliger, il convient de l’estimer à sa juste valeur, comme ce libraire, doublé d’un clairvoyant critique, qui répondit brutalement au pauvre Cervantes en quête d’un éditeur pour une douzaine de comédies inédites : « On peut beaucoup attendre de votre prose ; mais vos vers ne valent pas le diable. » Ce verdict, dans la manière d’Alceste ou de Gustave Planche, s’appliquerait très bien, à peine atténué, au génie catalan, peu poétique de sa nature, et entièrement tourné vers la prose, où il excelle par de fortes qualités de vigueur, de sobriété, de netteté, de lucidité, de méthode, essentiellement positives et pratiques, qui sans cesse le ramènent au concret, au solide, à la recherche du vrai par la réalité, à l’observation de ce qui est, laissant aussi peu de marge que possible à la contemplation mystique, à la méditation abstraite, à l’esthétique sentimentale, à la conception rêveuse, à la mélancolie stérile, à l’élan poétique d’où naissent l’épopée, le lyrisme, l’élégie et le drame. L’imagination créatrice et primesautière est dominée par une prodigieuse activité d’esprit, infiniment plus propre à calculer et combiner qu’à inventer de toutes pièces. La très grande majorité de la race se compose d’hommes de mouvement et d’action, énergiques, résolus, persévérans, patiens, tenaces jusqu’à