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des décisions hautaines de la dictature provençale : nombre de poètes catalans ont fièrement décliné l’honneur de figurer dans cette sorte d’académie internationale des patois novo-latins, dont les maîtres chanteurs de Provence se sont attribué l’hégémonie. L’occasion était belle pour revenir au sentiment de la situation vraie, et la susceptibilité a servi la cause du bon sens. Les Catalans, revenus à résipiscence, ont nettement séparé leurs intérêts de ces trop aimables voisins, qui prétendaient faire campagne avec eux en s’arrogeant le commandement. Les Catalans n’ont pas voulu se prêter à cette mystification, où les rôles eussent été intervertis. En effet, si l’unité de langage n’est possible que par l’extinction des dialectes, comment pourrait-on l’obtenir par la fusion des patois, qui ne sont que des restes de dialectes éteints? Le catalan, tel qu’il est parlé présentement, ressemble plus ou moins à l’ancien, tandis que l’idiome de convention à l’usage des félibres ne rappelle que de très loin la langue savante des anciens troubadours.

Ce que les Catalans ont de mieux à faire, s’ils veulent conserver leur autonomie littéraire, c’est de continuer l’antique tradition, en empruntant au passé tout ce qui peut fortifier et corriger le présent, sans avoir la prétention de revenir en arrière, sans se figurer qu’on puisse recommencer ou improviser l’histoire. Le savoir et l’expérience feront beaucoup plus pour l’œuvre de restauration et de rénovation que l’esprit d’aventure et les regrets stériles. Ce n’est point avec des préjugés de clocher que l’on avance dans le chemin du progrès. Les plus illustres Catalans de ce siècle ont aimé tendrement leur province sans s’insurger contre la nation qu’ils ont servie et honorée, et qui se pare de leur gloire. Les noms des Puigblanc, des Capmany, des Aribau, des Balmès, des Monlau, des Cortada, des Piferrer, des Ballot, des Labernia, des Bergnes, et de quelques autres qui ont laissé un sillon lumineux dans l’histoire des lettres, ne sont point des noms d’insurgés. Et si l’on prenait un à un les promoteurs de la restauration littéraire, il serait aisé de montrer que les plus méritans sont ceux qui, au lieu de se lancer dans les aventures, ont consacré leurs doctes veilles à rendre à la Catalogne ses titres de noblesse en exhumant pieusement les documens respectables d’un glorieux passé. Sans être prophète, on peut prédire une renommée durable aux laborieux lettrés qui ont voué leur vie à faire connaître les archives de la couronne d’Aragon et à préparer les matériaux d’une bibliothèque des auteurs catalans. Dans ce mouvement de rénovation, la gloire solide appartiendra aux patriotes qui ont travaillé activement pour l’honneur de la patrie catalane, sans rechercher la popularité.


J.-M. GUARDIA.