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plus régulières et plus nombreuses que dans les autres parties de la Barbarie ; le voisinage de notre Algérie, déjà assez avancée en colonisation, la proximité de la Sicile et de Malte, qui déversent à Tunis le superflu de leur population robuste, sobre et laborieuse ; voilà, certes, des conditions physiques favorables. Les conditions morales et sociales ne le sont pas moins ; une race douce, pour la plus grande partie sédentaire, n’ayant aucun goût pour les armes, habituée à la vie des villes et au travail des champs, connaissant et pratiquant comme régime habituel la propriété individuelle ; les hautes classes et les classes moyennes déjà affinées par une demi-culture, ayant du penchant pour les choses de l’esprit, se sentant attirées par nos écoles, toutes disposées, sous la réserve des opinions religieuses, à se faire nos disciples ; un gouvernement indigène, naguère très corrompu, il est vrai, mais régulièrement obéi sur tout l’ensemble du territoire, ne se heurtant nulle part, comme l’ancien dey d’Alger, à des feudataires orgueilleux, jaloux ou récalcitrans ; une administration française qui, sans prétention apparente, sans ostentation, sans bruit, s’insinue avec discrétion, mais avec fermeté et persévérance, étend une main souple et légère sur les divers services publics, les soumet peu à peu à son empreinte ; une méthode excellemment éducatrice qui agit avec ménagement, faisant entrer le temps dans ses calculs, s’efforçant de modifier le caractère d’un peuple barbare et de former son esprit par les procédés dont un homme fait usage à l’endroit d’un enfant ; comme résultat de toutes ces circonstances heureuses, une paix que rien ne trouble, une sécurité qui n’a guère à envier aux pays les plus policés, une cordialité de rapports entre les nouveau-venus, les dominateurs européens, et la grande masse des habitans. Voilà une colonie presque idéale à son début ; il semble qu’il soit possible de la constituer sans massacres, sans expropriations, sans confiscations d’aucune sorte, sans aucunes mesures artificielles qui consacrent l’oppression ou l’humiliation d’un peuple au profit d’un autre. Sauf la guerre, aussi débonnaire que courte, du 22 avril 1881 au 31 mai de la même année et la révolte de Sfax du 28 juin au 16 juillet, aucune violence n’aura marqué l’établissement de la France en Tunisie. L’histoire si variée de la colonisation n’a pas présenté encore d’origines aussi pures.

Les colons français de Tunisie, cependant, ne sont pas tous dans le contentement. Il en est qui montrent quelque mauvaise humeur. Ils auraient été déçus ; le développement de la prospérité du pays ne serait pas aussi rapide qu’ils l’espéraient. Tous leurs rêves ne se seraient pas réalisés. Cette colonie, qui a aujourd’hui cinq ans et six mois environ, ne jouirait pas de tous les avantages qu’ils se