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ne se tiendra pas pour satisfait du double. C’est que, quels que soient la science, les soins du viticulteur, la culture de la vigne participe de la loterie, aujourd’hui plus que jamais. On a en perspective des gains illimités. Il est vrai que parfois la vigne a rapporté 25, 30, 40, peut-être même 50 pour 100 des capitaux employés; on va jusqu’à dire 100 pour 100, mais ceux qui parlent sont des méridionaux. En passant en Afrique, les Gascons ou les Provençaux se sont encore exaltés ; ils voient double ou triple. Les journaux algériens gourmandent sévèrement ceux qui, comme moi, déclarent, après bien des réflexions, des comparaisons et des calculs, que l’on doit être satisfait en moyenne sur un grand domaine africain d’une production annuelle, en tenant compte de toutes les vicissitudes diverses, de 40 à 50 hectolitres à l’hectare ; si j’ai le malheur d’écrire que la vigne peut, dans le Tell d’Alger ou dans les plaines et sur les coteaux de Tunis, produire un revenu de 10 à 15 ou 20 pour 100, ils s’indignent et affirment que je déprécie l’Afrique et la dénigre. Tel est l’état d’esprit des viticulteurs d’au-delà de la Méditerranée. On peut leur reprocher de dédaigner trop les calculs, de ne pas savoir au juste ce que c’est qu’une moyenne rigoureuse pour un grand nombre d’hectares et pour une série d’années, de généraliser des cas particuliers et exceptionnels, de transformer en ordinaires et normaux des rendemens rares.

La passion de la vigne sévit et sévira, néanmoins, en Afrique, à Tunis comme en Algérie. Est-ce un mal ? Non certes ; pourvu que ceux qui s’y adonnent ne confient pas toute leur fortune et toute leur destinée à cette plante fantasque, tantôt si prodigieusement libérale, tantôt si persévéramment décevante. La plupart des acheteurs de grands domaines tunisiens se sont mis à planter la vigne. Il y a déjà 2,200 hectares de vignobles en Tunisie, sans compter 1,500 hectares environ de vignes indigènes; cela peut paraître bien peu de chose encore, auprès des 70,000 hectares environ du vignoble algérien, et des 2 millions d’hectares assez avariés du vignoble français. Mais c’est qu’il en coûte cher de faire une vigne: on évalue cette dépense à 3 ou 4,000 francs par hectare. Le premier de ces deux chiffres doit paraître un minimum pour un travail sérieux et offrant des conditions de succès durable. C’est à peu près la même dépense que dans la métropole : le prix de la terre seule est notablement moindre. Les 2,200 hectares du vignoble tunisien appartiennent à une soixantaine de propriétaires différens. Un seul domaine a déjà 300 hectares de vignes, plusieurs en ont plus de 200. La culture de la vigne se constitue en Tunisie su ii s le régime de la très grande propriété, c’est ce qui la distingue de la métropole et de l’Algérie. Si le phylloxéra ne survient pas