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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/429

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Cependant, au-delà de cette agglomération de bâtimens en ruines, un parc s’étendait avec de hautes futaies de cèdres, de châtaigniers et de platanes.

J’arrivai bientôt à un ravin très resserré et si touffu qu’on eût dit un puits tapissé de verdure.

Au fond, tout au fond, un lac miroitait, et sur ses bords trois constructions minuscules s’élevaient : c’étaient un temple, un kiosque et un autel bouddhique; des cigognes de bronze, des dragons de pierre émergeaient de l’herbe.

Depuis le haut du ravin jusqu’à la nappe du lac, la végétation avait tout envahi, et toutes les nuances du vert, depuis le vert sombre des plus jusqu’au vert tendre des plantes aquatiques, s’y fondaient dans un rayonnement chatoyant et harmonieux.

D’énormes touffes d’azalées sauvages d’un rose pâle ou d’un blanc laiteux s’entremêlaient à des fougères arborescentes, tandis qu’au bord de l’eau des anémones, des amaryllis rouges, des lis jaunes, des iris, des capillaires et des graminées de toute espèce formaient une végétation plus légère, plus élégante et plus variée.

Une lumière tamisée, très douce, se déposait sur la surface de l’eau et sous les futaies; mais la cime des arbres s’éclairait d’une clarté plus blanche qui, par endroits, traversait comme une flèche lumineuse quelque trouée du feuillage et venait fouiller sur le sol les dentelures d’une fougère. Une odeur humide, faite de senteurs végétales, emplissait l’air tiède.

C’était une résidence d’été, abandonnée comme tout le reste du palais, mais qui semblait moins désolée et d’où se dégageait comme le parfum d’un passé très lointain.

Les lieux qui n’ont pas d’histoire ou ceux dont l’histoire ne nous est pas familière n’ont sur notre esprit qu’une faible puissance d’évocation; les pensées qu’ils nous suggèrent sont nécessairement vagues, flottantes, faites de fantaisie ou de souvenirs, tissées de la trame légère du rêve.

Je l’éprouvais ici, dans ce pays dont le passé ne nous est pas encore dévoilé et était devant moi comme une antiquité vivante qui n’aurait pas livré son secret. Ce que je savais du passé historique de la Corée ne suffisait qu’à éveiller ma curiosité : c’étaient quelques dates incertaines, les noms de quelques rois émergeant de la suite confuse des dynasties nationales, le démembrement de la Corée en sept ou huit royaumes rivaux, et quelques faits de guerre résumant plusieurs siècles de luttes avec le Japon, avec les Mandchous ou avec la Chine. J’avais cependant la notion plus précise d’une époque d’épanouissement artistique et littéraire. Je savais