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Commencée en 1850, la construction de la voie ferrée, qui mesurait quarante-huit milles de longueur (environ 60 kilomètres), devait être terminée, disait-on, en deux ans au plus et coûter 7,500,000 francs. Il n’y avait ni tunnels à percer, ni tranchées considérables à creuser, le point culminant au-dessus de la mer n’excédait pas cent mètres ; aussi les contractons s’attendaient-ils à des profits considérables, mais ils n’avaient tenu compte ni de l’indolence des indigènes, ni de la grande mortalité des travailleurs amenés du dehors, ni de l’attrait puissant des mines d’or de la Californie. Au lieu de chercher à faire œuvre définitive et durable, on s’attacha à bâcler au plus vite une communication telle quelle entre les deux océans. Sur des remblais à peine tassés, nous dit M. Armand Reclus dans son intéressant récit de voyage[1], on plaçait des rondins empruntés aux arbres des forêts voisines, sans même se donner la peine de les recouvrir de ballast ; au moyen de madriers non équarris ou de simples échafaudages, on franchissait les marais, les ruisseaux, le Chagres même, dont le lit a plus de d’eux cents mètres de largeur à l’endroit où la voie le traverse. Ces travaux provisoires offraient si peu de solidité que la moindre crue des rios les plus insignifians enlevait les ponts, affouillait les remblais. C’est ainsi que le viaduc de Barbacoas, entrepris à forfait, était à peine achevé qu’une portion notable s’écroulait.

Le temps passait, et, loin de s’enrichir, les entrepreneurs se ruinaient; les capitalistes de New-York qui avaient engagé leurs fonds dans l’affaire se refusaient à de nouvelles avances. Dans cette extrémité, on eut recours à deux millionnaires de New-York, Howland et Aspinwall, dont la puissante intervention remit l’affaire sur pied. Le sénateur de la Californie, Gwin, obtint de son côté un contrat postal du gouvernement des États-Unis, dont le revenu, affecté en partie à la garantie d’un emprunt, permit de réunir de nouveaux fonds. Après quatre années de labeur et une dépense de 37,500,000 francs, la voie fut enfin achevée.

A San-Francisco, ces communications plus promptes facilitaient l’introduction d’élémens nouveaux, élémens d’ordre et de durée. La famille se constituait, on travaillait pour l’avenir ; à la tente du nomade, incertain du lendemain, succédait le foyer de l’homme civilisé. Mais la corruption administrative, électorale et politique envahissait San-Francisco. Après les émigrans chercheurs d’or ou d’aventures, attirés par l’appât du gain ou la soif de l’inconnu, étaient venus les politicians tarés, avocats sans cliens, journalistes

  1. Panama et Darien, 1 vol. in-8o; Hachette.