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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/469

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qui force Barnabé à jeter le masque, après quoi tout est prêt pour le mariage de Suzette et de Florisel.

Ces reviremens, si je ne me trompe, déroutent notre plaisir. Voilà ce qui nuit à la pièce, plutôt que ce commencement du deuxième acte, où une réception ennuyeuse chez des bourgeois est trop patiemment imitée; plutôt même que ce milieu du troisième, où le spadassin et la courtisane, pour effrayer le notaire, évoquent lugubrement l’image du bagne : on en passe bien d’autres au « joyeux » Regnard ! Il se peut aussi que cette comédie, pour un franc pastiche, se hasarde à trop durer : ni le Tricorne enchanté, ni Pierrot posthume, de Théophile Gautier, ni le Beau Léandre, de M. de Banville, ne poussent au-delà d’un acte. Ici le parcours est trois fois plus long; mais le paraîtrait-il, s’il se faisait tout d’une traite ?

Parade, oui vraiment, et parade qui déconcerte un peu l’esprit par son allure, Monsieur Scapin, d’un bout à l’autre, a ce don précieux de charmer les oreilles : c’est la grâce qu’il faut souhaiter à des ouvrages d’un genre plus noble, à la prochaine tragédie, au prochain drame : si nous ne croyons pas aux patoles, une telle musique trompera notre ennui. Ah ! la bonne langue, purement gauloise et française ! Elle est riche et toute saine; assez rare pour être amusante, et cependant toute simple. Elle est convenable au théâtre et apte à ce particulier sujet. Et comme ce courant de style, qui vient de nos aïeux, se coule en ces vers modernes! Il est vif, il est souple, il se prête à ces rythmes variés, qui, si variés qu’ils soient, demeurent toujours des rythmes. C’est une source de chez Régnier que M. Richepin a captée; il la fait passer par de petits chemins que voudrait avoir dessinés M. de Banville. Ici elle tinte, là elle gazouille, un peu plus loin elle gronde. — Des citations? Il faudrait recopier tout le premier acte, où la forme s’accommode si juste aux mouvemens scéniques de l’idée. Du deuxième, je transcrirais pour le moins le duo des amoureux et l’air de bravoure jeté par Scapin à la face du matamore : il réveillerait dans leurs tombes, cet air-là, Scarron et Corneille, le Corneille de l’illusion comique. Du troisième, comment négliger l’apostrophe de Scapin à Barnabé, ce triomphal couplet d’une autre Chanson des Gueux? Et, après cela, je regretterais le reste.

M. Coquelin aîné, qui joue Scapin dans la perfection, a bu là un bon coup de poésie comique, — le coup de l’étrier! M. Coquelin cadet dit la déclaration de Tristan, ce Scapin junior, avec un esprit discret dont il convient de lui savoir gré. M. Le Bargy, par sa voix et par l’usage qu’il en fait, mérite de porter ce nom délicieux, Florisel. Mlle Céline Montaland est gaie, naturelle et avenante comme doit l’être Dorine. Mlle Müller, en Suzette, a la grâce d’une figurine de Saxe dont la pâte serait pétrie de malice