Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/476

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

eu des précurseurs, il a eu surtout le plus illustre de tous en M. Thiers, qui, déjà de son temps, mettait tout son esprit à rallier les conservateurs en traçant le programme de la seule république qu’il croyait possible et durable. M. Thiers ne s’y méprenait pas trop, et en demandant aux conservateurs d’accepter, sans renier leurs croyances, le seul régime pour le moment possible, il ne se faisait pas illusion sur les républicains. À ceux qui se sont faits depuis les théoriciens de l’omnipotence des majorités violentes de parti il avait répondu d’avance par tous ces traits caractéristiques : « La république sera conservatrice ou elle ne sera pas… La république n’est qu’un contresens si, au lieu d’être le gouvernement de tous, elle est le gouvernement d’un parti… » À ceux qui se sont faits les promoteurs des guerres religieuses il avait répondu avant de les avoir entendus : «…Tout gouvernement qui veut entreprendre sur la conscience d’une partie quelconque de la nation est un gouvernement impie aux yeux mêmes de la philosophie… » M. Thiers parlait ainsi ! Les républicains, une fois maîtres du pouvoir, n’ont plus rien écouté. Ils ont commis toutes les fautes, ils se sont livrés à toutes les violences qu’on leur conseillait d’éviter, et en définitive à quoi ont-ils réussi ? Ils n’ont fait qu’accumuler les difficultés pour le régime même qu’ils prétendent fonder et donner raison à celui qui les jugeait d’avance.

Ce que M. Thiers disait autrefois, avant l’expérience, M. Raoul Duval le répète à son tour aujourd’hui après les excès de ces dernières années. Aura-t-il plus de succès que son illustre prédécesseur ? peut-il se promettre de mieux réussir à rallier les conservateurs pour former avec eux ce parti modéré destiné à tenir tête à une politique républicaine qui n’est plus guère que le radicalisme ? Il est certain que ce qui s’est passé depuis quelque temps n’est pas encourageant. Les conservateurs, on en conviendra, sont un peu fondés à montrer quelque défiance en se souvenant des abus encore récens de majorité dont ils ont été les victimes, et en voyant comment les plus modérés d’entre eux sont parfois accueillis dans la république. Qu’on y réfléchisse cependant : les circonstances sont peut-être moins défavorables qu’il y a quinze ans, précisément parce que bien des illusions sont dissipées, parce qu’on a assisté à cette expérience meurtrière d’un règne de parti qui ne s’est manifesté que par les atteintes à la paix morale, par le désordre dans les finances, par la désorganisation administrative. Après tout, les conservateurs, en entrant dans la république, n’ont ni à désavouer leurs traditions, ni à faire des actes de résipiscence, ni à solliciter une place que personne n’a le droit de leur j accorder ou de leur refuser : ils n’ont qu’à la prendre ! Ils représentent déjà près d’une moitié du pays, cette partie de l’opinion désabusée qui craindrait peut-être une révolution, fût-ce en faveur de la monarchie, qui témoigne assez, dans tous les cas, par son énergie persévérante