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toujours difficile à contenir, qui a aussi l’Égypte, où elle n’exerce qu’un protectorat contesté, qui a en même temps l’Inde, où ses querelles de délimitation sont encore mal apaisées, l’Angleterre elle-même ne peut oublier qu’elle a des intérêts d’influence dans les Balkans, et c’est après tout de cette question bulgare que lord Salisbury s’est le plus occupé dans son dernier discours au banquet du lord-maire. Les manifestations socialistes qui ont accompagné cette fois le cortège du nouveau lord-maire n’ont pas troublé le banquet traditionnel de Guildhall et n’ont point surtout empêché les discours. Le chef du cabinet a prononcé le sien selon l’usage, et il a passé rapidement à travers toutes les autres questions pour en venir à celle qui était dans tous les esprits, à « cette éternelle question d’Orient, qui, a-t-il dit, retombe encore sur nous. » C’était attendu ; mais ce qu’il y a de plus curieux, c’est le ton leste et dégagé des explications du premier ministre de la reine Victoria. Lord Salisbury n’a point craint certainement de se compromettre par les libertés de sa parole avec la Russie. Il a parlé de la violation des traités comme si l’Angleterre ne s’était jamais associée à la violation d’un traité même à Sofia. Il s’est élevé contre ce coup d’état nocturne accompli au détriment d’un « prince brave et habile » par des officiers que ce prince avait conduits à la victoire et que « l’or étranger venait de suborner. » Il a passablement fulminé contre tous ces faits de pression étrangère qui se succèdent depuis quelque temps en Bulgarie, qui ont révolté, assure-t-il, la conscience de l’Europe, contre la scandaleuse intervention d’une diplomatie dans l’intérêt des conspirateurs qui ont jeté à bas du trône le dernier prince. L’Angleterre en est encore suffoquée ! C’est fort bien ; tant qu’il ne s’agit que de faire des discours contre la Russie, lord Salisbury a de singulières hardiesses d’indignation inutile. Dès qu’il s’agit de prendre un parti, d’avouer une politique, de faire quelque chose pour cette pauvre Bulgarie à laquelle il porte un si vif intérêt, le chef du cabinet de la reine n’a plus que des subterfuges et des distinctions subtiles. Cela ne regarde pas l’Angleterre d’être le don Quichotte du droit européen, de faire respecter au profit des autres des engagemens que les autres ne jugent pas nécessaire de défendre eux-mêmes ! L’Autriche est, après tout, la première intéressée dans les affaires de Bulgarie ; la politique que suivra cette puissance décidera de celle que l’Angleterre devra adopter ! Et lord Salisbury finit en disant lestement : «… Nous ne voyons rien pour le moment qui nous donne lieu de craindre pour la tranquillité de l’Europe… » Voilà qui est au mieux ! Mais c’était bien la peine de tant parler de traités violés, de faits qui ont révolté la conscience universelle !

Qu’en faut-il conclure ? C’est qu’évidemment aujourd’hui, si la Russie veut y mettre quelque mesure, si elle ne prétend pas pousser ses entreprises jusqu’à une occupation militaire qui serait toujours périlleuse,