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l’auteur lui-même, quand il n’est pas aveuglé par sa frénésie monothéiste, ne s’élevait contre ce principe. Les pères ne seront plus mis à mort à cause de leurs fils, et les fils ne seront plus mis à mort à cause de leurs pères ; chacun sera mis à mort pour son péché. Progrès immense sur le Décalogue, où Dieu punit le crime des pères sur les enfans jusqu’à la troisième et quatrième génération ! Le vieux principe de la réversibilité du crime perdait du terrain. Il faut se rappeler que ce qui répond chronologiquement en Grèce au code deutéronomique est la législation du mythique Dracon. Le code hébreu de l’art 622 a des erreurs ; il renferme quelques pages fanatiques qu’on voudrait effacer, mais il a aussi des articles qui pourraient faire envie aux modernes. Ce code a été à son jour une loi de progrès.

Qui fut l’auteur d’un livre dont les parrains nous sont si bien connus et dont la paternité nous est comme à dessein dissimulée ? C’est pour la critique un vif sujet d’étonnement que le nom de Jérémie ne soit pas prononcé au chapitre XXIIe du deuxième livre des Rois, quand il s’agit de l’apparition de la Thora. D’un bout à l’autre, cette Thora est remplie de l’esprit de Jérémie ; ce sont ses idées, c’est son style. La Thora deutéronomique est la réalisation complète de l’idéal prêché par le prophète d’Anatoth. Comment Jérémie ne figure-t-il pas dans le récit de la découverte du livre, quand sept ou huit autres personnes sont nommées ? Parmi ces personnes, nous en trouvons au moins deux, Safan et Ahiqam, qui sont nommés ailleurs parmi les amis intimes et les protecteurs de Jérémie[1]. Comment, pour s’édifier sur les menaces du livre, va-t-on consulter la prophétesse Hulda et non Jérémie ? Jérémie était pourtant bien en vue. Il était l’agent le plus actif de la réforme. Chaque jour, il allait se placer aux portes de la ville pour prêcher. Il commandait au roi, aux officiers[2]. Que le code qui résumait ses idées ait été promulgué sans lui être communiqué, c’est chose tout à fait invraisemblable. Si ce code fut publié d’accord avec lui, il faut dire qu’il en fut l’auteur ou à peu près. Aucun texte historique ne nous apprendrait que les articles de Smalkalde sont l’œuvre de Luther, que nous aurions le droit d’affirmer que ces articles, résumant solennellement les idées de Luther, n’ont pas été publiés à l’insu de Luther.

Le prêtre Helqiah, l’inventeur de la nouvelle Thora, est, selon quelques-uns, identique au prêtre Helqiah, père de Jérémie. Jérémie, en 622, était jeune encore ; les préoccupations que trahit le code deutéronomique au sujet des prêtres-lévites réduits à la misère, et en particulier au sujet des lévites qui viennent des

  1. Jérémie, ch. XXVI et suiv.
  2. Ch. XVII, 10 et suiv.