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à un batelier pour transport, de Venise à Ferrare, d’une peinture envoyée à Son Excellence par Maestro Tiziano ; — item à un portefaix pour transport sur l’épaule de ladite de Francolino à Ferrare ; — item à un charretier pour transport de Francolino à Ferrare de la malle de maestro Tutiano. » Titien avait seulement envoyé d’avance par le plus court sa toile et ses bagages. Quant à lui, il s’était arrêté à Mantoue pour y passer quelques jours chez les Gonzagues, auxquels il était recommandé par leur ambassadeur à Venise. Avant de quitter Mantoue, il prit soin de demander au jeune marquis Frédéric, qui l’avait accueilli avec une grâce parfaite, une lettre pour le duc Alphonse, dans laquelle le marquis s’excusait d’avoir retenu le peintre et priait son oncle de le lui renvoyer au plus vite pour quelques jours. C’est seulement le 7 février qu’on le trouve à Ferrare, où les livres du château font mention de vingt-quatre repas apprêtés pour les personnes de sa suite.

La toile de Bacchus et Ariane complétait, avec l’Offrande à Vénus et la Bacchanale, la décoration du cabinet pour laquelle le vieux Giovanni Bellini avait donné, dans son Repas des dieux, la note première et charmante. Ces trois peintures, où le génie du peintre, se débarrassant de ses dernières timidités, éclate avec une joie virile, portent l’empreinte des enthousiasmes classiques qu’excitait alors, dans tous les esprits cultivés, la résurrection des poètes et des écrivains de l’antiquité. Les sujets des deux premières sont empruntés à Philostrate et celui de la dernière à Catulle, dont Alde Manuce, chez qui Titien rencontrait souvent Bembo, Navagero et tout le groupe des érudits vénitiens, avait récemment publié les œuvres. Dans toutes les trois, à l’inspiration de la poésie antique se joint, selon toute apparence, l’inspiration directe d’Arioste, qui travaillait alors au Roland furieux et que Titien dut voir fréquemment à Ferrare. L’Offrande à Vénus est la restitution exacte du tableau des Amours décrit par Philostrate. C’est avec la simplicité naïve et saine d’un ancien Grec que le Vénitien suit, sans y rien changer, la description du sophiste. Depuis longtemps, il avait montré, dans presque toutes ses peintures, un amour aussi vif pour les beaux enfans que pour les belles femmes ; ses bambins, agiles et roses, avaient un air de santé, d’insouciance, de gaîté qui ravissait les yeux. Dans l’Offrande à Vénus il en jeta une ribambelle se bousculant, dans la lumière, avec une vivacité et un naturel inexprimables. Aucune œuvre n’a été plus admirée, plus copiée, plus imitée. C’est là qu’Albane, Poussin, Rubens, Van Dyck, Duquesnoy, tous les artistes qui ont donné dans leur œuvre une grande place aux enfans, se sont longuement inspirés. Lorsqu’un siècle après l’Offrande à Vénus allait partir pour l’Espagne, le Dominiquin demanda au