Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/710

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Faguet, dans le Père Goriot et dans le Cousin Pons, c’est-à-dire dans des romans où il n’y a d’exceptionnel que l’intensité des passions, nullement leur nature, encore moins leur principe. M. Faguet dit encore : « Il a dû son grand succès, plus à ce qu’il y avait de mauvais dans son réalisme qu’à ce qu’il contenait d’excellent ; » et c’est encore ce que je ne crois pas. Comme introducteur dans le roman d’un goût de la réalité qui passait jusqu’à lui pour être le contraire du romanesque, Balzac n’a rien fait qui ne fût bon, utile, nécessaire même à son heure, et de même que c’est aujourd’hui le fort de ses admirateurs, ce fut aussi en son temps la vraie raison de son succès. Les uns faisaient du roman sentimental, à la manière de Mme Cottin, les autres, comme Dumas, du roman historique ou du roman d’aventures ; George Sand était alors tout entière dans le roman social ; Balzac mit dans le roman les mœurs de son temps, — ou du moins ce qu’il appelait de ce nom, — et à beaucoup d’égards ce sont encore celles du nôtre. C’est la raison de son succès et de la durée de ce succès. Et si nos naturalistes l’avaient suivi dans cette voie, si d’autres maîtres depuis lui n’étaient intervenus, si le plus considérable d’eux tous, l’auteur de Madame Bovary, n’avait lui-même été l’un des esprits les plus bornés que l’on puisse concevoir, si quelques-uns d’entre eux n’avaient apporté dans le roman un goût fâcheux de l’obscénité, je ne vois pas de raison pour que l’exemple de Balzac les eût tant pervertis, ni conséquemment pour qu’on lui impute une responsabilité qui est bien toute celle de Gustave Flaubert, des frères de Goncourt et de M. Zola.

Si le livre de M. Faguet n’est pas une histoire de la littérature française au XIXe siècle, j’ai tâché de montrer qu’il touchait du moins à quelques-unes des principales questions que soulèverait cette histoire. Dirai-je maintenant ce que l’on y voudrait en plus de tout ce qui s’y trouve ? Un peu plus d’originalité, d’abord, et, là même où, ses prédécesseurs ayant bien jugé, c’est un mérite que de juger tout naïvement comme eux, un accent au moins plus personnel. Un peu moins de négligence ensuite : il y a vraiment du laisser-aller dans quelques-unes de ces Études, un air d’improvisation, et la facilité d’un homme qui se contenterait d’avoir à peu près mis ses impressions en ordre. Et nous lui demanderions enfla des idées parfois un peu mieux liées, si lui-même n’avait en quelque façon prévenu la demande, en nous avertissant « qu’une histoire des idées en France serait presque mieux faite avec les noms qui ne sont point dans ce volume : avec Benjamin Constant, de Maistre, Mme de Staël, Guizot, Cousin, Stendhal, Proudhon. » C’est donc de quoi nous lui donnerons acte, et, sans autrement appuyer sur des critiques, on le voit, d’assez peu d’importance, c’est à ce nouveau volume que nous l’attendrons, — avec impatience et confiance.


F. BRUNETIERE.