Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/712

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

saccage de son budget et des services publics. Et ce qu’il y a de plus étrange, c’est que cette chambre, ainsi déchaînée, sans guide et sans frein, à travers les crédits d’un budget de plus de 3 milliards, ne se doute même pas du genre de spectacle qu’elle offre au pays avec cette plaisante arrogance de médiocrité qui veut tout faire et qui ne sait rien faire. Elle va devant elle les yeux fermés, jouant avec les chiffres comme avec tout le reste, satisfaite d’elle-même, et finissant par ne plus savoir où elle en est Non, sans doute, cette comédie du Palais-Bourbon n’a rien de gai ; elle n’a surtout rien de rassurant pour le progrès des mœurs publiques et pour la France, dont on traite si singulièrement les affaires.

Le mal ne date pas d’aujourd’hui, nous en convenons. Évidemment le désordre qui vient de se révéler sous des formes presque fantastiques, et qui fait de la discussion du budget un des plus curieux épisodes des annales parlementaires de la France, ce désordre n’a pas éclaté à l’improviste. Il y a longtemps qu’il se prépare. Il est le résultat de l’altération croissante de toutes les conditions de la vie publique. Il est né de l’idée fausse et abusive qu’on se fait du rôle des assemblées, du mandat des commissions chargées de la préparation du budget ; il est né aussi d’une manière générale de cette situation parlementaire où il n’y a ni une majorité réelle pour soutenir un ministère, ni un ministère pour conduire une majorité. Tout s’est réuni pour préparer la confusion et l’impuissance dont en vient d’avoir la représentation.

Précisons un peu plus les faits. On peut encore, si l’on veut, essayer de déguiser la vérité et de se faire illusion : on n’est pas moins engagé dans une crise financière des plus graves, qui est en grande partie l’œuvre d’une politique d’imprévoyance et de prodigalité suivie depuis des années déjà et à laquelle il faut aujourd’hui de toute façon remédier. On a abusé de la fortune de la France, on a semé le gaspillage, on a récolté le déficit : c’est là le premier fait avéré et certain. Lorsqu’il y a huit mois, M. le ministre des finances a voulu composer son budget, il s’est trouvé en face de cette crise dont il recueillait le lourd héritage, et, c’est du moins Bon mérite, il a pris sa tâche au sérieux. Il ne s’est pas arrêté à cette hâblerie de parti : « Ni emprunts, ni impôts nouveaux ! » Il a cherché, il a cru trouver dans quelques combinaisons modestes et pratiques un moyen d’aller, comme on dit, au plus pressé. Il a voulu arrêter le déchaînement des dépenses par la suppression du budget extraordinaire, créer des ressources par une surtaxe des alcools, dégager à demi la situation par un emprunt à peine déguisé sous la forme d’une consolidation d’obligations à court terme. Le système pouvait être plus ou moins heureux, plus ou moins efficace : il existait, il présentait un certain ensemble