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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/721

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mis dans son discours un mot qui ne laisse pas de donner à penser. En proclamant le « désintéressement » tout pacifique de l’Allemagne dans les affaires orientales du moment, il s’est évidemment dégagé d’avance de tout ce qui pourrait arriver, il a décliné tout engagement : de sorte qu’en cas de complications croissantes il resterait l’Autriche et la Russie qui seraient ennemies, l’Allemagne qui serait neutre en attendant de revenir arbitre, ou qui reprendrait sa liberté selon les circonstances. Ce serait un redoutable inconnu ; mais on n’en est pas là et avant que l’Europe en soit à ces extrémités, on trouvera sans doute quelque moyen de tout concilier encore une fois, de maintenir la paix en rajustant le traité de Berlin, en créant en Bulgarie, avec un nouveau prince, une situation qui ne soit une victoire exclusive pour aucune des influences qui se disputent l’Orient. Ce moyen n’est point, après tout, impossible à trouver, si on le veut bien ; il n’y a qu’à le chercher dans la situation même. La Russie parait désavouer tout dessein d’intervention militaire ; elle ne méconnaît pas la nécessité de conserver l’indépendance de la Bulgarie, elle n’a cessé de se déclarer favorable au traité de Berlin. Les autres puissances, de leur côté, ne peuvent avoir la pensée de contester à la Russie l’influence légitime à laquelle elle peut prétendre dans les Balkans. Ce sont là les élémens d’une transaction que la partie de l’Europe la moins engagée ou la plus « désintéressée, » selon le mot de l’empereur Guillaume, peut être naturellement appelée à préparer et à réaliser. On y arrivera sans doute parce que, si de toutes parts on arme beaucoup, personne ne semble bien pressé de se servir de ses armes, de jouer la paix du monde pour la Bulgarie.

Au milieu de ces complications européennes, nous ne demanderions pas mieux assurément que de voir la France, dont M. le président du conseil exposait ces jours derniers encore la politique extérieure, dont il proclamait, lui aussi, le « désintéressement, » exercer son influence conciliante et pacificatrice. Pourquoi donc semble-t-elle avoir un rôle si effacé ? Pourquoi dans tous ces discours, dans toutes ces explications qui se sont succédé depuis quelques jours, son nom n’a-t-il pas même été prononcé ? Est-ce donc parce qu’on méconnaît sa puissance et ses droits, parce qu’on lui refuse sa place dans la politique de l’Europe ? Il n’en est rien, il n’y a dans la réserve gardée à l’égard de notre pays ni oubli ni dédain. On sait bien que la France, en dépit de toutes ses crises, sera toujours la France, M. le président du conseil a eu raison de le rappeler dans son discours aussi convenable qu’inoffensif. On ne demanderait probablement pas mieux en Europe que de s’entendre avec la France ; mais ce que M. le président du conseil n’a pas ajouté, ce qu’il ne pouvait pas ajouter, ce qu’il faut redire encore et toujours, c’est que pour des gouvernemens étrangers