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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/779

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Cette décision, prise à la suite de discussions longues et passionnées, fut d’abord tenue secrète. On se demandait avec anxiété comment les jésuites l’accepteraient. Pour la leur notifier et pour les obliger à se soumettre, le pape eut l’idée d’envoyer en Chine un légat investi des pouvoirs les plus étendus. Son choix se porta sur un prélat piémontais, M. de Tournon, qui se mit en route immédiatement. Le voyage était alors long et difficile. Parti de Rome en décembre 1704, M. de Tournon arriva à Macao au mois d’avril suivant ; puis il passa à Canton ; puis, après un trajet de trois mois dans l’intérieur de la Chine, il atteignit Pékin le 14 décembre. Bien que la bulle n’eût pas été publiée, tout le monde en soupçonnait le contenu, et un grand émoi régnait parmi les missionnaires. Les jésuites avaient pour adversaires tous les autres ordres religieux. Mais, puissamment organisés, appuyés par l’empereur, ils constituaient une force imposante à laquelle le légat hésitait à se heurter de front. Avant toute autre démarche, M. de Tournon chercha, pour accroître son autorité, à se faire reconnaître par Kang-hi comme supérieur général de tous les missionnaires. Il entama à cet effet une négociation écrite ; mais l’empereur, averti par les jésuites, comprit le piège qui leur était tendu. S’indignant à la pensée de voir un étranger envoyé dans son empire pour condamner des pratiques chères aux Chinois, estimant qu’il avait autant de droit à juger les dogmes catholiques que M. de Tournon à statuer sur la portée des rites de la Chine, il prit les devans, s’improvisa théologien et déclara, parlant comme Constantin l’aurait pu faire : 1° que, le Dieu des Chinois étant le Dieu même des chrétiens, il était naturel de lui donner le même nom ; 2° que les cérémonies en l’honneur de Confucius n’étaient pas incompatibles avec le christianisme ; 3° que les hommages rendus aux ancêtres n’étaient pas davantage inconciliables avec cette religion. Le même édit ordonnait l’expulsion de tous les missionnaires qui ne se soumettraient pas à la décision de l’empereur. Le légat du pape, irrité de ces mesures inattendues, froissé de l’attitude des jésuites de Pékin, quitta la capitale du nord et se retira à Nankin. De là, en février 1707, il répondit à l’édit impérial par un mandement où il réfuta point par point les assertions théologiques de l’empereur de Chine, et prescrivit de quitter immédiatement le territoire de l’empire à tous les missionnaires qui ne s’inclineraient pas devant le jugement du souverain pontife. Pris entre l’empereur et le légat, condamnés nécessairement par l’un ou par l’autre, les missionnaires ne savaient à quel parti s’arrêter : quelques-uns se soumettent, la plupart font appel au pape du mandement du légat. Kang-hi fulmine à son tour, menace de mort M. de Tournon et le relègue à Macao, avec