Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/803

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chrétiens indigènes. Tous aussi connaissent le nom de la France et savent l’existence de l’autre côté de la terre d’un grand peuple qui leur a conquis par les armes la liberté religieuse, qui veille sur eux de loin et dont le représentant à Pékin est prêt à faire appel à l’empereur des décisions arbitraires et vexatoires des mandarins. C’est une grandeur à laquelle il serait triste de renoncer, et le jour où ces hommes qui ont parfois souffert de l’attachement qu’on leur a supposé pour notre pays seraient abandonnés par nous, ce jour marquerait une irrémédiable déchéance du nom français dans l’extrême Orient. C’est ce que sentent nos rivaux : c’est pour cela qu’ils s’efforcent de nouer des intrigues à Pékin, à Tientsin, à Rome, moins en vue d’un avantage pour eux-mêmes qu’en vue d’un préjudice pour la France. Ils savent, du reste, que l’abandon du protectorat religieux en Chine serait forcément suivi du même abandon, volontaire ou forcé, dans l’empire turc, en Syrie, en Égypte, dans ces régions voisines de l’Europe où l’influence traditionnelle de notre pays est l’objet d’une jalousie passionnée. Il y a, en effet, une certaine logique des choses qui ne nous permettrait pas de garder à Beyrouth et à Jérusalem ce que nous aurions perdu à Pékin. — Les Chinois, du moins, nous sauraient-ils gré de l’abandon de nos cliens ? Il est certain que le gouvernement impérial éprouverait quelque soulagement en voyant disparaître une cause de fréquentes interventions dans les affaires de l’empire ; mais il faudrait être bien naïf pour penser qu’ils nous témoigneraient de la reconnaissance. D’abord, en politique, la reconnaissance n’existe guère : nous ne l’avons pas trouvée souvent en Europe, comment pourrions-nous espérer la trouver chez les Chinois, qui n’ont jamais passé pour être particulièrement accessibles aux considérations de sentiment ? Du reste, ils ne croiraient pas que nous agissions spontanément. Leur finesse naturelle se refuserait absolument à admettre que nous abandonnions de gaité de cœur une situation qui peut nous fournir de perpétuels sujets d’intervention dans leurs affaires et fournir, quand besoin sera, des élémens de compensation. Le contrat Do ut des est au fond de toutes les transactions diplomatiques. Éviter les occasions d’avoir des griefs contre un gouvernement à qui elle aura si souvent des demandes à adresser serait la plus lourde faute que la France pût commettre, — surtout depuis notre établissement au Tonkin. Les Chinois, loin de nous témoigner de la reconnaissance, penseraient que nous avons cédé à des nécessités de politique intérieure ou à une pression de quelque puissance étrangère. L’une et l’autre hypothèse paraîtrait une marque de faiblesse. Au lieu de leur bon vouloir, nous ne recueillerions que leur mépris.

Puisse donc la France poursuivre dans le monde sa politique