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fut sans conséquence. Cette ville, il fallait à tout prix la relever, sous peine de voir périr la vraie religion. Si les idées juives prirent un tout autre tour après le siège de Titus, c’est que la puissance romaine avait un caractère bien plus inéluctable que la puissance assyrienne. En outre, la conception idéaliste avait fait en Israël de tels progrès, grâce surtout au christianisme, que Jérusalem était devenue moins nécessaire au iahvéisme et que les docteurs de Iahvé purent concevoir une parfaite observation de la Loi sans temple, ni sacerdoce, ni autel.

L’organisation sacerdotale et rituelle était l’objet sur lequel se portaient principalement les rêves des piétistes. Sûrement, on se proposait de revenir au passé dans ses lignes essentielles ; mais on sentait que bien des changemens matériels étaient nécessaires, et on ne se faisait nul scrupule de les introduire. Ézéchiel usait ses loisirs de captif à ruminer des plans qu’il remaniait sans cesse. Abordant de front le problème que les réformes de Josias avaient créé sans le résoudre, la hiérarchie du corps sacerdotal, il cherchait à voir en esprit la ville de prêtres qui, par la nécessité des choses, sortait de l’effort inconscient d’Israël.

Ces idées, qui apparaissent dans Ézéchiel sous des formes assez diverses et avec des retouches montrant en quelque sorte le progrès de sa pensée, sont résumées dans une suite de visions[1] datées de l’art 575 avant Jésus-Christ. Les morceaux en question forment un petit exposé idéal de la nouvelle organisation, conçue par celui qu’on est autorisé à considérer comme le second fondateur du judaïsme après Jérémie. Il n’y a pas de pages dans les écrits du passé qui révèlent un plus étrange état d’esprit. On dirait un rêve, où les lois de la réalité n’existent plus, où les chiffres mêmes sont flexibles. La géographie y est toute fantaisiste ; la topographie pleine de contradictions. C’est un idéal que, sûrement, le Voyant n’aurait voulu voir appliqué qu’avec une foule de modifications. Les nombres, en particulier, sont presque mis au hasard, et il y a de la naïveté à vouloir les corriger ; l’auteur eût aussi bien fait de les laisser en blanc. Ceux qui veulent fonder sur ces visions bizarres des calculs et des dessins feraient aussi bien de dresser le plan de la Jérusalem céleste de l’Apocalypse. Ils devraient donner une place, dans leurs tracés, au fleuve sortant du temple, grossissant à chaque pas, et allant assainir la Mer-Morte. Aucun prophète, autant qu’Ézéchiel, ne s’est joué de l’impossible. Il rappelle Fourier ; mais c’est un Fourier qui décrirait son phalanstère avec la précision d’un architecte ou d’un arpenteur.

  1. Ézéchiel, ch. XL-XLVIII.