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en invoquant les traités de 1815 qu’il avait tenu à honneur de déchirer. On eût dit qu’il ne se sentait plus assez fort pour contraindre son alliée de 1859 à respecter le pape et que pour la mettre à la raison, il avait besoin du concours de toutes les puissances. Il s’était emparé de l’idée du congrès, que M. Rattazzi avait suggérée lorsqu’il réclamait l’occupation mixte des états pontificaux ; le dessein, bien que chimérique, ne manquait pas de grandeur, la diplomatie européenne devait se réunir en concile œcuménique pour résoudre un des plus grands problèmes des temps modernes. Tout le monde était convié, les pays catholiques et les pays protestans, les grands états et les petits états jusqu’au Luxembourg. La Grèce et le sultan seuls étaient exclus.

Le congrès devait décider si les prétentions de l’Italie d’exproprier les états du saint-siège pour cause d’utilité nationale étaient compatibles avec les principes qui régissent les rapports internationaux, ou si, dans l’intérêt de l’ordre européen et pour rassurer les consciences, il ne serait pas urgent de placer les états de l’église sous la protection des puissances catholiques. Mais quelles étaient ces puissances catholiques? De fait, elles l’étaient toutes, car toutes elles comptaient des catholiques au nombre de leurs sujets. Mais aucune, sauf la France et l’Espagne, n’était intéressée au maintien du pouvoir temporel. La Russie n’était pas seulement schismatique, elle était en guerre avec Rome, elle avait déchiré le concordat, elle persécutait les catholiques polonais[1]. L’Angleterre était dissidente, elle n’avait pas d’ambassadeur au Vatican, ses rapports avec le pape étaient clandestins. La Prusse était protestante et l’Autriche se redressait contre les omnipotences du clergé, elle ne songeait qu’à se délier du concordat qui avait subordonné ses lois civiles à celles de l’église; elle regrettait la politique religieuse de Joseph II. C’était une étrange idée de faire appel à des puissances hérétiques et schismatiques pour régler le sort du chef de l’église. On ne voyait pas ce qui sortirait d’une réunion composée d’élémens aussi hétérogènes, et qui, suivant la présence ou la non-participation des ministres des affaires étrangères aurait le caractère d’un congrès ou d’une simple conférence. Il y manquait, d’ailleurs, la partie principale : le pape, sur le sort duquel on allait délibérer. Pie IX, en admettant qu’il répondît par sa présence à notre appel, ne pouvait tolérer qu’une réunion de diplomates se permit de mortifier ou de restreindre ce qui avait été institué par Dieu. Les papes ont accepté parfois des arbitres sur des questions de frontières, mais jamais sur des questions de principe.

  1. Le pape avait dû, à la suite d’une sortie déplacée, mettre littéralement à la porte de son cabinet M. de Meyendorf, le chargé d’affaires de Russie.