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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/864

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REVUE DES DEUX MONDES.

d’Orient s’acharnent les unes contre les autres, et chacune d’elles est affligée par les plus grands scandales. À Constantinople, Éphèse, Alexandrie, Jérusalem, Antioche, des patriarches sont déposés par des factions théologiques. Dans les conciles éclatent des scènes sauvages. À Éphèse, en 449, la doctrine d’Eutychès est en discussion. Flavien, patriarche de Constantinople et Eusèbe de Dorylée tiennent pour la distinction des deux natures, mais les partisans d’Eutychès sont en nombre, et leur chef Dioscure, patriarche d’Alexandrie, a pris les mesures nécessaires pour faire triompher son opinion. Lorsqu’Eusèbe veut parler, des cris s’élèvent : « À la porte ! Brûlez-le ! Coupons-le en morceaux, celui qui coupe le Christ en deux natures ! » Chaque séance est remplie d’un pareil tumulte ; un jour enfin, Dioscure, prié de mettre fin à ce désordre, fait ouvrir la porte de l’église où siège le concile ; des soldats, des moines et la populace se précipitent ; des évêques sont enchaînés, et le patriarche de Constantinople assommé. À Chalcédoine, où furent condamnées en 451 les doctrines de Nestor et d’Eutychès, les commissaires impériaux furent obligés pour faire taire les hurlemens de dire qu’à leur avis il était « inconvenant à des évêques de beugler comme une populace. » Après le concile, les moines de la Palestine se répandirent en troupes, saccageant et massacrant.

Dans ces saturnales théologiques intervint l’église de Rome. Elle eut aussi des défaillances, mais rares et courtes, et si la conduite de tel ou tel pontife peut être attestée contre les partisans de l’infaillibilité perpétuelle des papes, il est certain que Rome a soutenu avec constance la même doctrine et donné ainsi au christianisme l’esprit et la forme qu’il a gardée à travers les âges. J’ai déjà marqué au cours de ces études l’opposition qui éclate entre l’esprit hellénique de l’Orient et l’esprit latin de l’Occident. C’est la différence de l’esprit philosophique jamais satisfait, se dérobant aux solutions par des propositions nouvelles, et l’esprit juridique qui accepte des principes une fois posés et en déduit les conséquences. Le pape est un théologien législateur, au lieu qu’un philosophe survit en tout théologien oriental. Le contraste se marque d’autant mieux à partir du Ve siècle, que l’Orient s’hellénise de plus en plus, car il ne reste plus de romain à Constantinople que le nom Ῥωμαῖοι, transporté là comme une épave de l’histoire, et quelques titres de dignités, qui font singulière figure sous leur vêtement grec. L’Occident, au contraire, oublie le grec. Léon le Grand n’est pas capable de comprendre le texte des actes du concile de Chalcédoine. Il demande à un de ses correspondans habituels, l’évêque de Cos, d’en faire « la traduction latine exacte, sans termes ambigus, pleinement intelligible. » Il le prie une autre fois de traduire en grec une