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à édifier et à renverser à leur gré. Ces aspirations étaient discutées dans la presse. On comparait le système politique qui résulterait de la réalisation éventuelle des demandes de l’Irlande avec les modèles analogues que pouvait offrir le monde civilisé, notamment avec le dualisme austro-hongrois et le système fédératif des États-Unis. Les objections paraissaient formidables ; au-dessus de ce parlement de l’Irlande, et de ce qui ne serait plus que le parlement de l’Ecosse et de l’Angleterre, ne faudrait-il pas constituer une autre assemblée chargée de toutes les questions relatives aux intérêts communs, politique étrangère et coloniale, services impériaux de l’armée et de la marine, etc. ?

Telles étaient les idées qui flottaient, indécises et vagues, paraissant appartenir exclusivement au domaine de la théorie pure, sinon de la chimère, lorsqu’un incident d’une portée capitale vint leur donner un corps et poser le problème de l’unité ou de la dislocation de l’empire britannique, dans les termes les plus précis et les plus concrets, devant l’opinion publique et devant les partis.

On sait qu’il existe en Amérique, en formation depuis une trentaine d’années, et devenant chaque jour plus riche, plus active et plus puissante, une nouvelle Irlande, composée des émigrés de l’ancienne, et qui suit avec la plus opiniâtre sollicitude les destinées de la mère patrie, séjour des anciennes misères. Il y avait eu naguère une land league en Amérique comme en Irlande. Il y avait maintenant une ligue nationale américaine ne faisant qu’un pour ainsi dire avec la ligue nationale du vieux pays. La jeune Irlande envoyait à sa mère de fréquens et larges subsides pour qu’elle pût soutenir la lutte contre l’Angleterre et le envoyait aussi d’étranges combattans, de véritables desperadoes, porteurs de machines infernales pour faire sauter les ponts, les monumens, les gares de Londres et jusqu’au palais de Westminster. A côté du parti constitué à New-York exclusivement en vue de fournir des fonds au constitutionnalisme parnelliste, il y avait un parti extrémiste, persuadé que la dynamite était le seul argument dont il fût sensé de faire usage à l’égard du gouvernement anglais. Or le clan na-Gael, âme du parti extrémiste, association secrète dont les chefs principaux étaient à cette époque Sullivan, Egan, Baland, Fitzgerald, prit vers le milieu de 1885 un ascendant complet sur les fractions plus modérées dans la direction des affaires de la jeune Irlande. On trouvait que M. Parnell mettait infiniment trop de parlementarisme et d’opportunisme dans sa façon de conduire l’Irlande au home rule. On avait hâte d’aboutir. Un délégué fut envoyé en Europe, chargé de signifier au grand agitateur qu’il eût à revendiquer sans retard et hautement un parlement séparé ou à laisser à d’autres l’honneur de travailler au triomphe des fins de la nationalité irlandaise. Après