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« qui ne se paie pas de mots, mais de raisons, et qui n’accepte pas les œuvres sur leur étiquette, » prenait soin de conclure : « Il y a une tendance chez la plupart des jeunes auteurs dramatiques à transformer le vaudeville en comédie. Et vraiment, si l’on y réfléchît bien, cette tendance n’a rien que de raisonnable, et mérite plutôt d’être encouragée que d’être condamnée. Si la comédie, depuis longtemps morte, doit renaître, d’où sortira-t-elle ? Pourquoi donc ne naîtrait-elle pas du vaudeville ? Elle est bien née, une fois déjà, de la farce italienne… Vous trouvez que cette origine n’est pas assez noble pour la comédie ; mais vous oubliez que le théâtre de Molière n’en a pas eu d’autre… La comédie ne se pique pas d’être noble, même lorsqu’elle est grande ; elle se pique d’être humaine, et cela lui suint… De l’ancienne comédie que reste-t-il ? Rien, si ce n’est un cadre presque hors d’usage et des traditions de déclamations morales et sentencieuses… Si la grande comédie a chance de revivre, elle sortira de la farce parisienne ; car il y a de nos jours, qu’on ne s’y trompe pas, une farce parisienne, comme il y eut au XVIIe siècle, une farce italienne. »

Cette « farce parisienne, » on sait ce qu’elle est devenue, pendant un quart de siècle, avec Théodore Barrière et Lambert Thiboust, avec MM. Labiche, Gondinet, Victorien Sardou. Mais nul assurément, depuis ce temps où il était « le jeune auteur de l’Autographe, » nul n’a fait plus que M. Meilhac, soit avec Ludovic Halévy, soit même avec d’autres, soit enfin seul, pour cette évolution littéraire. « Exempt de sots dédains et de répugnances académiques, » ainsi que le voulait M. Montégut, M. Meilhac touche au vaudeville, et il n’y touche, en effet, que pour « le transformer en comédie. » Rarement cette définition du genre nouveau put s’appliquer mieux qu’à ce dernier ouvrage. Si je dis l’opinion que j’en ai, l’autorité de M. Montégut me couvrira-t-elle ? Pas plus, il est vrai, que le talent de M. Meilhac, elle n’a encore été consacrée par l’Académie : je ne pense pas, cependant, qu’il se trouve là quelqu’un pour la récuser par « répugnance » ni par « dédain. »

Qu’un notaire ayant écrit deux lettres, l’une galante et l’autre qui annonce un héritage, et l’une et l’autre illisibles par endroits, se trompe d’enveloppe, c’est un accident possible et en soi assez drôle, mais ce n’est qu’un accident ; si un auteur le choisit pour thème d’un ouvrage de théâtre, ce n’est qu’une donnée de vaudeville. Mais chez qui vont ces deux lettres ? Et, ces gens chez qui elles vont, quels effets produisent-elles sur eux ? Voilà maintenant la question. Si elles s’adressent à des pantins et leur sont un signal d’allées et venues, de jeux de cache-cache et de chocs (des pantins ne peuvent rien de mieux pour nous divertir), vaudeville était la pièce, elle reste vaudeville ; mais si les destinataires sont des personnes humaines, — même exagérées en quelques traits de façon à sembler des caricatures, même assez transparentes pour qu’on voie luire derrière elles l’ironie de l’auteur,