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la pièce est bien liée en soi ; elles sont entrelacées l’une à l’autre avec art. Mais d’aucuns se plaignent d’être déroutés : à chaque changement de piste, ils craignent d’être fourvoyés dans une impasse ; et, bien qu’ils reconnaissent chaque fois que leur crainte est vaine, ils en sont gênés ; bien que leur plaisir aille jusqu’au bout, il n’y va pas sans inquiétude. Soit ! Assurés, maintenant, que l’ouvrage est amusant jusque-là, qu’ils y retournent : sinon, je les tiens pour suspects. Dites, si vous le voulez, que les scènes bouffonnes, — jouées par Mlle Lavigne avec un burlesque toujours énorme et pourtant varié, par M. Daubray et Mme Mathilde avec une verve étourdissante, — dites que cette farce convient plus proprement au Palais-Royal ; dites que les scènes délicates, — où Mlle Sisos est on ne peut plus aimable, et M. Numa fort adroit, et M. Pellerin consciencieux, — ne seraient pas déplacées à la Comédie-Française. Mais prétendez-vous, parce qu’il y a des changemens de ton, que ces changemens ne se peuvent souffrir et que ceci détonne à côté de cela ? (Et peut-être vous prétendez aimer Shakspeare ! ) Maintenez-vous que ceci est trop fin pour le Palais-Royal, et que cela seul devrait y rester ? Alors, j’en ai peur, cela tout seul ne vous plairait pas davantage. Ce qui ne vous plaît pas, ou ce qui vous déplaît même, ce qui vous échappe ou ce qui vous incommode, c’est proprement le comique, bouffon aussi bien que délicat. Vous êtes gâté par le vaudeville, qui ne vous demande pas de penser, pas même de penser gaiment, entre neuf heures et minuit, pendant votre digestion. Il surprend et secoue vos nerfs par ses grimaces et ses culbutes : vous lui savez gré de cet office, vous lui réservez votre indulgence, vous ne voulez rien de plus que ce qu’il vous donne.

C’est que, depuis quelques années, un arrêt, un recul même s’est produit dans la transformation de la comédie en vaudeville. Combien de vaudevilles avons-nous vus sous le nom de comédies, non-seulement au Vaudeville même ou au Palais-Royal, non-seulement au Gymnase ou aux Variétés, — ni à Cluny, aux Menus-Plaisirs, à Déjazet, où c’est leur place, — mais à la Comédie-Française ! Ou plutôt nous n’en avons vu partout qu’un petit nombre et toujours les mêmes, et l’habitude de ces types a rendu paresseux beaucoup de gens. Ce n’est plus de « pompeuses inutilités, » ni de « platitudes mélodramatiques » qu’on nous fait un répertoire, mais d’inutilités triviales et de platitudes foraines.

Cependant, au lieu que cette nourriture vous ait fait le goût grossier, vous dégoûte-t-elle enfin ? « Êtes-vous, pour votre bonheur, assez blasé pour n’être plus amusé que par les œuvres où se rencontre un grain d’originalité, » ou même plusieurs ? « Alors, vous dirai-je, — comme M. Montégut, il y a vingt-six ans, — allez voir la pièce de M. Meilhac ! »


Louis GANDERAX.