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pour ses lamentations inutiles. Et le chef du ministère, à son tour, a eu beau accourir tardivement au secours de ses collègues en détresse, employant son éloquence la plus persuasive : il a pu tout au plus sauver quelques épaves, il avait déjà perdu tout crédit. La chambre allait toujours ! Elle a fini par rencontrer les sous-préfets sur son chemin et lestement elle les a sabrés, c’est-à-dire supprimés d’un trait, sans s’inquiéter du vide qu’elle allait créer subitement dans l’administration générale du pays, sans écouter les plus simples représentations du ministre de l’intérieur et du président du conseil, qui s’évertuaient pourtant à promettre pour l’avenir ce qu’on voulait instantanément. Cette fois, c’était le coup de grâce ; il fallait bien en finir, et c’est ainsi que la crise nouvelle est née d’un surcroît de gâchis, à propos de ces pauvres sous-préfets, qui se sont malencontreusement trouvés sur le chemin ; c’est ainsi que le chef du ministère, M. de Freycinet, sous le coup d’un dernier échec, a cru devoir se démettre, faute de vouloir se soumettre jusqu’au bout, et qu’il y a aujourd’hui, après bien des efforts, un autre cabinet, qui n’est plus, si l’on veut, celui de la veille, qui n’est pas non plus bien nouveau, qui se compose presque des mêmes hommes : il n’y a guère qu’une différence à demi caractéristique, c’est que le président du conseil, au lieu d’être M. de Freycinet, est l’ancien ministre de l’instruction publique, M. Goblet, promu au poste de chef du gouvernement. Voilà qui couronne bien une année, la première année de législature après les élections du 4 octobre 1885 ! Le dernier ministère aura vécu moins d’un an : l’étape a fini dans l’anarchie !

Comment en est-on venu là ? C’est tout simple : c’est l’œuvre d’un parti qui a toutes les jalousies de la domination, sans avoir le plus vulgaire esprit de conduite, et d’un gouvernement qui n’a su ou voulu vivre qu’en flattant des passions au-dessus desquelles il aurait dû se placer. Cette chambre qui est sortie des élections dernières, qui se compose de toute sorte de fractions républicaines sans cohésion, cette chambre, c’est évident, a plus de fantaisies et de prétentions que de puissance réelle. Elle ne sait ni ce qu’elle peut ni ce qu’elle veut. Les républicains qui gardent une majorité ou une apparence de majorité au Palais-Bourbon ont un malheur qui est pour eux une vraie fatalité : ils ont un goût instinctif, irrésistible pour tout ce qui est violence et anarchie. Ils parlent sans cesse de faire un gouvernement, dont ils sentent après tout le besoin, et ils se figurent qu’ils vont le faire avec des passions de secte, avec des turbulences et des destructions. Ils n’admettent pas même les conditions les plus simples d’un gouvernement sérieux, et ceux qui en auraient à demi l’idée n’osent pas résister aux plus violens : ils craignent d’être pris pour des réactionnaires, pour des orléanistes ! Ils veulent tout changer, tout réformer, l’ordre administratif, l’ordre financier, l’ordre militaire, même