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gouvernement contre l’emportement d’une chambre qui aurait seule gardé devant le pays la responsabilité de ses fantaisies de destruction et de son impuissance.

Le plus piquant, dans cette singulière aventure d’hier, c’est que, lorsque tout a été fini, quand le ministère a été par terre, ceux qui venaient de le renverser ont été ou ont paru être les premiers surpris de ce qu’ils avaient fait. Ils n’en revenaient pas tout d’abord, et, ce premier moment de surprise passé, avec cette aisance dans l’anarchie qui les caractérise, ils ont été encore plus étonnés de ne pas voir aussitôt, à la place du ministère disparu, un autre ministère surgir comme par enchantement. A peine la crise était-elle ouverte, en effet, ils commençaient déjà à s’impatienter, et peu s’en est fallu qu’on ne menaçât, sur l’heure, M. le président de la république d’une visite de la population des faubourgs, fort compétente, comme on sait, pour faire des ministères, ou d’une intervention du conseil municipal de Paris, qui s’entend encore mieux à jouer au gouvernement. On s’est réuni en attendant, on a multiplié les programmes de fantaisie et les ordres du jour qui n’avançaient rien. C’est qu’en définitive ce n’était pas aussi facile qu’on le disait, et, à rester dans le cercle républicain, la première difficulté était justement de retrouver cette majorité dont on parle toujours comme d’une réalité palpable et saisissable. Elle n’est pas si évidente, puisque M. de Freycinet venait de tomber parce qu’il l’avait vue se dérober subitement devant lui. La majorité républicaine, cette majorité avec laquelle on peut faire un gouvernement, dont on ne cesse d’invoquer le nom et l’autorité, — mais c’est là précisément la question : où est-elle donc ? Elle peut se retrouver encore, si l’on veut, toutes les fois qu’il s’agit de faire la guerre au prêtre, de disperser des religieuses ou d’expulser les princes ; en dehors de ces manifestations violentes de parti, elle n’existe plus, elle s’échappe de toutes parts. — Était-elle ces jours derniers avec le président de la chambre, M. Floquet, dont les radicaux désiraient si vivement l’arrivée au pouvoir et que M. le président de la république a un instant appelé à l’Elysée ? M. Floquet peut avoir déployé une certaine habileté et de l’esprit, comme président de la chambre, dans la direction des travaux parlementaires ; il a malheureusement contre lui des souvenirs importuns qui rendraient sa position de chef de gouvernement fort épineuse et qui font que, selon toute apparence, M. le président de la république ne l’a appelé auprès de lui que par une déférence officielle pour ses fonctions. La majorité était-elle avec les opportunistes, avec M. Jules Ferry, M. Brissson et leurs amis de ce groupe qui s’appelle aujourd’hui « l’union des gauches » après avoir porté d’autres noms ? Il est probable que, si les chefs de l’opportunisme républicain étaient arrivés au ministère à l’heure qu’il est, ils auraient vu se former aussitôt contre eux une coalition de l’extrême gauche, des radicaux, auxquels