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espagnol, devaient suivre la même filière. Toutefois, si lent, si compliqué que fût ce moyen de communication, il permettait de s’entendre, et c’était là un grand point. Il ne fut naturellement question, dans ce premier entretien, que de protestations d’amitié, que de la puissance du roi d’Espagne et de celle de Moteuczoma. Au fond, le gros événement de cette journée, pour Cortès surtout, que l’élément féminin troublait facilement, ce fut l’apparition, la découverte en quelque sorte inattendue de la belle jeune femme « à la royale prestance » que nul ne semblait avoir vue jusque-là, qui venait de se révéler avec sa beauté radieuse, son charme séducteur et sa voix qui, en prononçant les doux mots de la langue aztèque, semblait chanter et non parler.

A Tustepec, pittoresque village situé non loin de Païnala, je vis un jour pénétrer dans la rustique église où je copiais l’image étrange d’un saint, une Indienne parée, comme pour un jour de fête, d’un huépil d’une blancheur éclatante, brodé de fils de couleur. Semées de perles et de brins de corail, les deux nattes épaisses formées par les noirs cheveux de la visiteuse s’enroulaient au-dessus de son front comme une couronne, et son teint, légèrement cuivré, n’enlevait rien à la fraîcheur rosée de sa peau, à l’éclat humide de ses grands yeux doux, à la pourpre de ses lèvres souriantes, entre lesquelles étincelaient des dents nacrées. Elle me regarda avec une curiosité naïve, surprise de ma présence, de mon costume semi-européen, comme je l’étais de sa beauté et de sa grâce. A la fin, mes regards admiratifs la gênant, elle abaissa ses longs cils, s’agenouilla, se signa, couvrit son visage de ses mains mignonnes pour se recueillir, et pria. Au bout d’un instant elle se releva. Alors de cette marche lente, ondulante, féline des femmes de son pays, elle s’éloigna, me saluant d’un « sourire des lèvres et des yeux, » me laissant charmé.

— Qui est cette jeune femme? demandai-je au curé dont j’étais l’hôte.

— La Malina, me répondit-il d’un ton sérieux.

— Est-ce véritablement son nom? m’écriai-je.

— Oui, depuis l’année dernière. C’est elle qui, le jour de la fête du village, a représenté la célèbre « confidente » de Cortès. Savez-vous, señor, que tout le monde, ici, l’a trouvée ressemblante?

Je ne pris pas garde à l’énormité que me disait le curé ; car, de même que tout le monde, je trouvais, moi aussi, que la moderne Marina ressemblait à son aînée, dont il n’existe pourtant aucun portrait authentique.

Je suivis longtemps du regard, à travers le porche, la jeune femme à laquelle je devais une illusion que j’ai conservée. Qui de nous, du reste, n’a rencontré dans sa vie une Agnès Sorel, une