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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/128

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consentir à épouser la maîtresse encore aimée de son capitaine? Gomara par le de surprise; selon lui, on fit boire Jaramillo, et cette assertion fâche don Bernal sans lui arracher la vérité. Cette vérité, elle est aujourd’hui simple, transparente. Doña Catalina était morte subitement, la nuit, près de son mari, et celui-ci avait été dénoncé à l’inquisition comme ayant empoisonné sa femme, dont l’existence l’empêchait d’épouser doña Marina. Une enquête, secrètement conduite, s’instruisait sur ce fait à Mexico par ordre de la cour de Madrid. Don Juan de Jaramillo se dévoua pour son chef, qu’il aimait. Quant à doña Marina, n’était-elle pas toujours prête aux sacrifices? Son mariage imposa silence aux calomniateurs : il rendait la mort de doña Catalina un crime tout à fait gratuit.

L’inutile et folle expédition de Honduras, que Cortès ne s’attendait guère à trouver si laborieuse, ne dura pas moins de deux années. Le bruit que le conquérant avait succombé dans les inextricables forêts de l’isthme de Téhuantepec s’établit si bien à Mexico, où l’on ne recevait aucune nouvelle de sa main, que ses propriétés et celles des officiers qui l’accompagnaient furent vendues. C’est au moment où la petite armée traversa la province de Goatzalcoalco que doña Marina se trouva en face de sa mère et de son frère, convoqua par Cortès à titre de grands feudataires de la couronne. C’est alors qu’elle se vengea du passé en leur faisant assurer les biens et les litres qu’ils lui avaient ravis. C’est aussi pour la dernière fois que don Bernal nous parle d’elle pour nous faire connaître sa grande et noble action.

Au retour de sa stérile campagne, Cortès s’embarqua enfin pour l’Europe et se rendit à Madrid. Là, comblé d’honneurs par Charles-Quint, il épousa doña Juana de Zuniga, nièce du fameux duc de Béjar. Le conquérant, enivré de l’accueil enthousiaste de ses compatriotes, — « il marchait partout suivi, acclamé comme un roi, » — revint bientôt à Mexico en compagnie de sa jeune femme, afin de procéder à de nouvelles conquêtes. Si grande que fût son ambition, si haut que fût son orgueil, il devait être satisfait.

Et doña Marina? La douce femme semble n’être déjà plus de ce monde, et ceux qui étudient la vie de Cortès s’étonnent, s’attristent même, à l’heure du triomphe, de ne plus la voir à son côté. Ne lui doit-il pas en partie la célébrité qu’il a conquise, les honneurs dont il est accablé, la haute fortune à laquelle il est parvenu? Pendant sa vie, qui fut encore longue et qui devait s’achever dans les amertumes de l’oubli, on ne voit jamais le héros se préoccuper de celle qui a fait de lui un grand d’Espagne, et qu’il eût dû, à son tour, honorer ou faire honorer.

Admirable don Quichotte, parfait chevalier errant à tant d’égards, Cortès, il faut bien l’avouer, ne le fut pas en ce qui touche la fidélité