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emploi que l’homme habituellement courbé sous la dure loi du travail manuel puisse faire de ses heures de loisir. Mais les Français sont malheureusement au nombre des peuples qui ne chantent pas. Ils se bornent à écouter ceux qui chantent, et quelles chansons, grands dieux ! Peut-on même appeler ainsi ces refrains idiots ou grossiers que hurlent d’une voix avinée des chanteuses en maillots malpropres? Comme elle est oubliée, la vieille chanson française, à la fois sentimentale et grivoise, dont l’inspiration n’était pas bien élevée, mais qui du moins ne salissait pas les oreilles et la mémoire ! Et cependant, même aujourd’hui, que les auteurs, toujours inconnus, de ces sottises aient entremêlé à leurs lazzi ordinaires quelque couplet patriotique, ce couplet sera applaudi plus que tous les autres, tant il est vrai que les hommes assemblés ne sauraient mettre toujours en commun leurs sentimens les plus bas ! La mode des cafés-concerts remonte aux dernières années de l’empire, et leur description a fourni à Louis Veuillot quelques-unes des meilleures pages des Odeurs de Paris. Mais cette mode s’est singulièrement développée depuis quelques années, et s’il faut tout dire, l’exemple des hautes classes y est bien pour quelque chose. C’est toujours un rôle assez sot de s’ériger en censeur des mœurs de son temps, d’autant que de ces mœurs on est toujours plus ou moins complice. Mais souvent, en regardant cette foule assez déguenillée d’hommes et de femmes du peuple que la curiosité groupe alentour des cafés-concerts des Champs-Elysées, je n’ai pu m’empêcher de me demander quel jugement cette foule portait sur les hommes en habit noir et surtout sur les femmes en toilette élégante qu’elle voit défiler sous ses yeux, et si elle ne faisait pas entre ces femmes de condition très différente des confusions bien excusables. Rien n’est tel que ces complaisances et ces promiscuités pour donner aux classes populaires une idée méprisante des classes élevées et pour les encourager en même temps aux divertisse mens les plus vulgaires. Le jour où l’Alcazar d’été et le café des Ambassadeurs auraient fermé leur porte, faute de cliens, je ne crois pas que Ba-ta-clan eût encore de longs jours à vivre. Mais il ne faut cependant pas exagérer le mal que peuvent faire les cafés-concerts. Si trop de jeunes gens et de jeunes filles du peuple viennent au sortir de l’atelier, sinon même de l’école, y chercher un mauvais passe-temps, le nombre de ces établissemens n’est, après tout, pas très grand dans Paris. On en compte-vingt-huit, y compris ceux où se plaît une partie de la bonne compagnie, et si c’est assurément vingt-huit de trop ; cependant, répartis sur une aussi grande surface, leur clientèle ne saurait être très nombreuse. Il n’en est pas de même des cabarets. Dans une démocratie pure, la question du cabaret est, au point de vue social et politique, une des plus graves