aux phénomènes les plus complexes une explication purement matérielle. Si les naissances diminuent, on assure que c’est la faute de l’alcool. Si les suicides augmentent, c’est la faute de l’alcool. Si la criminalité se développe, c’est encore la faute de l’alcool. L’alcool menacerait aujourd’hui toute une moitié de l’Europe du sort qu’ont subi les races océaniennes détruites autrefois par l’eau de feu de l’Europe. Tel est le sinistre pronostic d’un professeur distingué de science financière, M. Alglave, qui conclut en proposant de constituer au profit de l’état le monopole exclusif de la vente de ce produit dangereux, de sorte qu’en fin de compte ce serait l’état qui, pour refaire ses finances, empoisonnerait ses propres sujets. Si les prémisses sont exactes, il faut convenir que la conclusion est singulière. Mais voici qu’un statisticien éminent s’est levé et a pris la défense de l’alcool. M. Fournier de Flaix a montré, à l’aide de tableaux très intéressans, que, dans les différens pays de l’Europe, il n’y avait aucune corrélation, d’une part, entre la consommation de l’alcool, et, d’autre part, entre le chiffre des naissances, celui des suicides et celui des crimes. C’est ainsi que la Russie et l’Allemagne consomment beaucoup plus d’alcool que la France ; le nombre des naissances y est infiniment plus élevé. L’Italie consomme beaucoup moins d’alcool que la Suède et le Danemark; la criminalité y est beaucoup plus forte. L’Autriche et la France consomment à peu près la même quantité d’alcool; le chiffre des suicides est du double en France. Je laisse à M. Fournier de Flaix l’honneur et la responsabilité de ses chiffres, mais sa conclusion ne m’a point surpris. La question du nombre plus ou moins grand des naissances est régie par des raisons de l’ordre moral les plus complexes et les plus délicates. Ce sont également des raisons morales qui influent sur l’augmentation des suicides et des crimes, bien qu’ici la part de l’alcoolisme soit certaine et relativement assez facile à déterminer. C’était donc faire tout à fait fausse route que de chercher à expliquer tous ces phénomènes par l’augmentation dans la consommation de l’alcool ; et on s’exposerait à de graves mécomptes en cherchant dans la répression directe ou indirecte de l’alcoolisme le moyen d’augmenter le nombre des naissances, de diminuer celui des suicides et des crimes. Bornons-nous à porter au compte de l’alcool, ce qui est déjà bien assez grave, toute une série de troubles dans l’organisme physique et dans l’équilibre moral que les hygiénistes sont unanimes à lui imputer et qui suffisent parfaitement à faire son procès.
Il faut distinguer l’alcoolisme aigu de l’alcoolisme chronique, c’est-à-dire, pour parler un langage moins scientifique, l’ivresse accidentelle de l’usage habituel des liqueurs fortes. Bien qu’il ne soit pas sans exemple que l’ivresse accidentelle ait amené parfois