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que la témérité de ce langage est de nature à soulever non-seulement les jurisconsultes, mais encore tous ceux qui, considérant le code civil comme la pierre angulaire de la société moderne, traitent volontiers de réactionnaire, de hobereau et de sacristain (ce sont qualifications dont j’ai été parfois honoré) quiconque s’avise de découvrir dans ses articles quelques imperfections. A mon humble avis d’ignorant, le code civil est cependant une œuvre très sujette à discussion, comme toutes les œuvres humaines, très belle assurément dans son ensemble, si on considère la rapidité avec laquelle elle a été élevée, mais dont certaines parties ont cependant vieilli, et dont toutes les innovations n’ont pas été également heureuses. Or, le titre du mariage est un de ceux où les auteurs du code civil ont le plus innové. Notre ancienne législation, dont les dispositions se confondaient en grande partie avec celles du droit canonique, considérait le mariage comme un acte intéressant avant tout les parties en cause. Aussi les laissait-elle agir à leurs risques et périls, en se bornant à exiger le minimum de garantie nécessaire pour que l’acte fût sérieux et public. Pour les mineurs seuls (et encore depuis le concile de Trente) le consentement des parens était exigé. Certains édits avaient été rendus contre les mariages clandestins, mais c’était tout. Le code civil a voulu changer tout cela. Il a voulu tout à la fois protéger l’inexpérience de l’homme contre la séduction de la femme, la crédulité de la femme contre la déloyauté de l’homme, et l’honneur des familles contrôles intrigues de tous deux. A cet effet, il a cherché des garanties dans la complication des formalités. Il a d’abord créé pour l’homme une minorité spéciale qui s’étend jusqu’à vingt-cinq ans et pour l’homme et la femme une minorité relative qui dure toute leur vie, puisqu’à aucun âge ils ne peuvent contracter mariage sans avoir demandé le consentement de leurs parens. De peur que le mariage ne soit opéré clandestinement, il a multiplié, en outre, le nombre des publications. Enfin, pour bien s’assurer qu’aucune de ces formalités ne serait oubliée, il a encore frappé de peines sévères l’officier de l’état civil qui en oublierait quelqu’une, de telle sorte qu’il a fait de lui un adversaire du mariage, la crainte qu’il a d’engager sa responsabilité le poussant toujours à susciter des complications inutiles. Quel a été le résultat de toutes ces précautions? c’est qu’en voulant empêcher la bigamie, qui est un cas pendable mais rare, le code favorise le concubinage, qui est un cas moins pendable, mais plus fréquent. C’est que l’union libre a remplacé le mariage clandestin, sans que l’honneur des familles s’en trouve beaucoup mieux pour cela. On ne saurait s’imaginer, en effet, à combien de complications viennent dans la pratique se heurter un garçon et