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au sujet, non par des rapports yagnes, mais par les formes mêmes, le musicien précipite tout à coup tous les instrumens sur une même note ; comment après s’être élevés ensemble à l’unisson jusqu’à l’octave de cette note, ces instrumens se dinsent et concourent, chacun de son côté, à préparer l’âme à un grand événement : comment, pour conserver le sentiment du rythme, affaibli par la célérité avec laquelle se meuvent les parties supérieures, le compositeur fait frapper aux autres instrumens l’anapeste, celui de tous les pieds qui convient le plus aux chants de guerre… Si je m’adressais aux jeunes artistes, je leur parlerais de la netteté du dessin de toutes les parties, de leurs contrastes, de la manière dont les pensées qui se sont emparées les premières de l’oreille se développent et se transfonnent en dialogue, et je leur ferais sentir ce que peut l’art quand il est au service du génie. »

Les jeunes artistes , qui n’avaient probablement pas soupçonné jusque-là toutes ces merveilleuses propriétés de l’unisson, de la gamme et de l’octave, devaient ouvrir, en effet, de grands yeux en apprenant qu’à chaque fois qu’ils mettaient une noire après deux croches, ils faisaient du grec sans le savoir. La leçon de musique et les anapestes excitèrent en Allemagne une hilarité générale. Forkel releva vertement les logogriphes de l’adepte, — non sans quelques vigoureux coups de patte à l’adresse du maître[1]. L’ami d’Emmanuel Bach, l’admirateur passionné de Jean Sébastien, devait sentir mieux que personne les faiblesses du style de Gluck ; mais sa sévérité va jusqu’à lui faire méconnaître les beautés dramatiques qui abondent dans son œuvre. Nos gens de lettres, au surplus, n’avaient cure de ces épigrammes. L’éclatant succès d’Orphée venait de rallier tous les dissidens. Malgré les changemeos apportés au rôle principal, qu’il avait fallu transposer poiu" la voix de ténor, — l’emploi des a sopranistes » étant inconnu à l’Opéra, — malgré l’addition malheureuse, à la fin du premier acte, d’un air de bravoure de Bertoni. que Gluck s’était approprié pour la circonstance , tout Paris se passionna pour Eurydice. Dans tous les salons retentissait le terrible : « Non ! » des Furies. Il arriva même à ce propos à Jean-Jacques une amusante méprise. Sur ce : « Non ! » formidable, les basses de l’orchestre et le chœur infernal font entendre un ut hémol. Comme, sans doute, les choristes de Paris avaient quelque peine à l’entonner, Gluck écrivit, pour plus de facilité, l’ut bémol sous forme de si naturel à la partie de chant, sans modifier pour cela la basse instrumentale. Sur quoi, Jean-Jacques se demande quelle raison profonde a pu pousser l’auteur à écrire de façon différente ces deux notes qui n’en font

  1. Musikalisch-Kritische Bibliothek. Ueber die Musik des Ritters von Gluck.