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L’homme, à travers l’inconstance apparente de ses désirs, poursuit une volonté unique : être heureux. Les droits qu’il revendique sont des moyens qu’il prend pour atteindre ce but. Tous, à l’exception de la liberté religieuse, sont destinés à assurer le bonheur de la vie terrestre, de l’heure présente. Si la puissance publique prescrit un de ces droits auxquels l’homme a attaché l’espoir de son bonheur dans sa famille, dans la cité, dans l’état, une protestation unanime s’élèvera d’abord. Que le pouvoir la brave sans paraître affaibli, certains s’obstineront, raidis dans l’orgueil de ne pas céder, ou, soutenus par le désintéressement d’une paternité mystique, se sacrifieront au profit des générations futures. Mais ces belles constances sont rares et deviendront plus rares à mesure que se prolongera l’attente. Le temps manque pour ajourner les avantages d’une vie qui toujours s’écoule et déjà va finir : là, tout ce qui est retardé est perdu. Plus l’exercice d’un droit sera difficile, plus sa légitimité semblera douteuse, il suffit qu’il ne triomphe pas dans les faits pour être ébranlé jusque dans les esprits. L’homme a peur d’être dupe. A poursuivre les biens qu’on lui refuse ne court-il pas risque de perdre par surcroît ceux qu’on lui laisse? A défaut d’indépendance l’ordre, à défaut de justice la richesse, à défaut de victoire la paix, sont des biens, et, quand on ne peut ce qu’on voudrait, il reste à vouloir ce qu’on peut. Dans la lutte obscure que chaque être livre aux difficultés de l’existence, il finit par renoncer qu’il désespère d’atteindre ; et la plus grande différence entre la jeunesse et la maturité, c’est que l’une appelle songes ce que l’autre nomme espérances. Il n’en est pas autrement dans les luttes qui mettent en conflit les volontés particulières et la puissance publique. Ces volontés abdiquent le jour où l’état leur a ôté la confiance qu’elles triompheront de lui.

La force nécessaire à l’état pour obtenir ce résultat varie selon le caractère et l’âge du peuple. Si le peuple est dans sa première vigueur, et par nature indocile au joug, il ne renoncera à rester maître de sa vie et à dresser le plan de son bonheur qu’après de longues luttes et de sévères leçons. S’il a au contraire une éducation d’obéissance, si la liberté pour lui n’est qu’une récente révolte contre un long esclavage, son âme comme son corps a gardé la meurtrissure de ses fers, la place reste préparée pour de nouvelles chaînes, la docilité héréditaire dispense le pouvoir des grandes rigueurs. Enfin, si ce peuple a atteint la décadence, si, après avoir réclamé le droit au travail, il n’est plus jaloux que du droit au plaisir, pour le dépouiller des prérogatives les plus essentielles à une nation, il suffit de soumettre leur exercice à quelques complications et à quelque gêne. Un certain degré de lâcheté ou de mollesse rend insupportable la pensée, non-seulement d’un