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cèdent aux moindres violences: encore la crainte n’abolira-t-elle pas leurs remords et ils ne pardonneront pas au pouvoir le mépris d’eux-mêmes où il les aura réduits. Mais que fera ce pouvoir contre les seconds? Rendra-t-il leur vie douloureuse? Ce n’est pas en cette vie qu’est placé leur espoir. Appesantira-t-il l’épreuve ? Ils savent que souffrir est un gain et que souffrir pour sa religion est le moyen le plus parfait de la pratiquer. Par quelles armes investir des assiégés qui reçoivent sans cesse leur secours d’en haut? La menace agit sur la loi comme l’insulte sur l’honneur, mais avec une tout autre puissance : elle émeut dans le chrétien les plus hautes ambitions qu’il puisse concevoir; elle souffle un esprit héroïque et révolté, le plus dangereux qui soit pour la paix des états. Le jour où une partie de la nation tient que son premier devoir est de désobéir aux lois, la puissance publique est contrainte de capituler ou de vaincre par des rigueurs croissantes ; l’on parvient vite aux dernières répressions. Mais de telles mesures ne sauraient être générales : on frappe quelques-uns pour l’exemple. L’exemple est efficace quand un conflit s’élève entre l’état et un rebelle ordinaire; si l’état supprime son adversaire, il supprime le conflit même ; si le vaincu avait des complices, son sort les instruit qu’il faut opter entre l’espoir de modifier le monde et l’espoir d’y vivre. Dans une guerre religieuse, les plus terribles châtimens n’ont pas cet effet d’exemple, ou plutôt l’exemple a une vertu toute contraire. La mort même ne résout rien : entre l’homme qui succombe et l’état, le conflit n’était pas sur l’existence présente mais sur l’existence future. L’état, loin d’enlever à sa victime le sort qu’elle veut, le lui assure et l’envoie au Dieu auquel il a appelé. Le supplice élève ceux qui le contemplent à un état d’âme où le présent semble presque le passé, l’avenir déjà le présent : ne laissant plus entre ce monde et l’autre que l’épaisseur de la hache, il donne à juger la vie à la lumière de la mort. Le persécuteur célèbre, pontife involontaire, un sacrifice religieux où le juste est immolé pour le salut de tous ; le sang qui tombe ainsi n’enseigne jamais la lâcheté et l’on s’agenouille quand il coule sur les échafauds devenus des autels. Ainsi l’état n’a pas de prise sur les croyans. La violence a raison de ceux-là seuls qu’elle frappe ; il faut dans chacun de ces rebelles étouffer la révolte en tuant la pensée. Il n’y a qu’un moyen d’en finir avec un culte, supprimer tous ses adhérens.

Quand la force n’a pas voulu ou pas pu achever cette œuvre, qu’a-t-elle produit? L’histoire, pleine des persécutions religieuses, raconte surtout leur vanité. Le plus ancien des cultes est celui qui a le plus longtemps souffert : aux jours où les juifs formaient un peuple, ce peuple perdant sans cesse, non-seulement l’indépendance, mais la patrie, transmis de maître en maître et de pays en pays, jeté