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de nature à jeter du jour sur la question que nous venons de poser.


I. — M. DE GRIGNAN ET LES MILICES DE PROVENCE.

Le souvenir de Mme de Sévigné est resté vivant en Provence, particulièrement à Aix, où une sorte de tradition parlait naguère encore de sa bonne grâce et du charme de ses manières, comme ayant servi de correctif à l’impression que produisaient la dignité un peu raide, le ton froid, et la tournure hautaine de sa fille. On redoutait l’esprit mordant de Mme de Grignan, qui passait pour ne pas épargner les petits ridicules de la société d’alors, dont les airs empruntés et les façons gauches lui arrachaient des réflexions, colportées ensuite par ses détracteurs. Mme de Sévigné qui n’en pensait pas moins, plus sûre d’elle-même, mesurait mieux ses paroles et adoucissait ces blessures de l’amour-propre. Plus gaie, plus vive, plus aimable, elle gagnait en appel, et pour le compte de sa fille, bien des procès perdus en première instance. Ce sont là des impressions dont il faut tenir compte, sans vouloir en outrer le sens. Trop haut placée pour ne pas être adulée, trop maîtresse dans son intérieur pour ne pas être redoutée, exerçant à Grignan une hospitalité fastueuse, en contact par sa situation avec une hiérarchie de personnages influens qu’elle doit nécessairement ménager. Mme de Grignan avait des liaisons et des amitiés assurément très nombreuses. Il en reste un témoignage dans ses portraits, dont il existe des exemplaires répétés et qu’elle-même avait donnés aux personnes qu’elle distinguait ou envers lesquelles elle contractait des obligations. Sauf la différence des temps et des procédés, on serait tenté d’assimiler ces portraits aux photographies de nos jours par l’usage qu’on en faisait. Plusieurs ont dû se perdre ou quitter le pays, mais nous reconnaissons dans ceux qui existent de simples imitations de celui qui figure en tête du tome V de la première édition de Perrin, ainsi que dans l’album de la grande édition de M. Régnier. Il est singulier que ces portraits aient été souvent attribués à tort à Mme de Sévigné. Les familles rattachées aux Grignan par les liens du sang n’ont pas été exemptes de cette confusion. Les portraits de Mme de Sévigné sont, au contraire, extrêmement rares en Provence, où elle ne résidait qu’à titre de voyageuse. Nous n’en connaissons qu’un seul, qui sert de pendant à celui de sa fille. Très médiocrement peint, mais certainement authentique, il existe au château de La Barben et appartient à la marquise de Forbin, arrière-petite-fille par son père de Mme de Vence, fille aînée de Mme de Simiane. C’est