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mille écus d’accommodement que l’usurier lui offrait et l’on craint qu’après avoir bien plaidé, notre ami ne prouvera rien, tant Perrin est habile dans son métier et en état de donner de la tablature à tous les juifs des halles.

M. de Coulanges est resté à Sens, où il s’est prodigieusement ennuyé; mais l’ennui, ma chère fille, ne porte pas toujours sur la santé, et il me le mande. Ainsi, adieu, ma chère enfant, je vais courir pour vous!


La lettre que nous venons de reproduire est-elle inventée ou seulement remaniée, ou bien serait-elle authentique? — Il paraît difficile de le dire à première vue : les personnages dont on parle sont vrais; les sentimens et les actes qu’on leur prête n’ont rien que de naturel. Une lettre pareille aurait pu à la rigueur être écrite vers 1676, à l’époque où le cardinal de Retz séjourna à Rome, à l’occasion d’un conclave, et où, par conséquent, son ami l’abbé de Pontcarré aurait eu la pensée de le rejoindre; il était frère d’un conseiller au parlement de Paris avec lequel il peut avoir eu quelque démêlé. Mais à cette date, Autrement, nous le verrons bientôt, entrait à peine au service de Mme de Sévigné ; il y a peu d’apparence qu’il ait comparu presque aussitôt devant le Châtelet, en qualité de témoin, dans une affaire concernant quelqu’un d’Aix. Plus tard, il est vrai, on rencontre la trace d’un autre séjour d’Autrement à Paris, qui se prolonge jusqu’après le retour en Provence de Mme de Grignan. À ce moment, il est question à plusieurs reprises de Mme de La Fayette, une fois aussi de l’abbé de Pontcarré, que Mme de Sévigné nomme cependant toujours le gros abbé ; elle emploie même, en écrivant à sa fille, cette expression « qu’elle lui donne de la tablature, » expression que l’on remarque justement dans la lettre controversée. Mais, d’autre part, ce monitoire placardé, ces termes d’usure et de concussion qui sentent le légiste, la profession de marchand appliquée à Perrin comme à point nommé, enfin, la longueur relative de l’épisode tout entier sont faits pour donner l’éveil. Dans tout cela on sent percer le calcul, et l’artifice se devine. D’ailleurs, que la lettre fût fabriquée ou véritable, l’essentiel pour l’arrêtiste était de frapper fort, en jetant au chevalier la menace d’une révélation scandaleuse. Par là, de toutes façons, il lui était possible de l’atteindre et de le faire reculer.

Mais quel était l’arrêtiste et Autrement, son beau-père? — Point de doute à concevoir à leur endroit. du érudit[1], que nous avons

  1. M. le marquis de Boisgelin, dont les recherches sur l’exacte filiation d’un très grand nombre de familles provençales sont dirigées par une méthode des plus rigoureuses.