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de la chaîne et permettent de la franchir si l’on connaît très bien le passage. C’est la difficulté de circuler dans ces montagnes qui fait l’indépendance des Bakhtyaris et qui leur a permis si longtemps de rançonner impunément les villages de l’Iran.

Partout l’eau circule en abondance : tantôt ce sont des ruisseaux ramifiés à l’infini au milieu d’une forêt de roseaux de plus de quatre mètres de hauteur; on est perdu dans la verdure, il faut s’y frayer un chemin à la force des jarrets du cheval. Ailleurs le ruisseau s’étale, ses bords deviennent marécageux et sont couverts de renoncules aquatiques dont les fleurs blanches sortent gaîment de la verdure, comme les pâquerettes de nos prairies. Dans d’autres endroits, l’eau se précipite avec violence ; son fracas est assourdissant, la rapidité de sa course cause le vertige quand il faut la traverser. On ne sait plus si l’on avance, si l’on recule ou si l’on dérive.

Un jour, près de Bagh-Melek, nous pûmes apprécier la force de ces courans. C’était cependant un tout petit ruisseau; sa largeur n’excédait pas quatre mètres, et il n’avait pas un mètre de profondeur. Un des guides y entra. Arrivé au milieu, son cheval fut-il effrayé? fit-il un faux pas? toujours est-il qu’il tomba avec son cavalier. Le courant les traîna sur les galets pendant plus de cent mètres; ils s’épuisaient en gestes désespérés, faisant des efforts impuissans pour reprendre pied. Ils se seraient noyés, sans nul doute, si un banc ne se fût trouvé qui les arrêta. Homme et cheval regagnèrent la rive et en furent quittes pour de fortes contusions.

Dans les vallées, sur les montagnes même, quand leurs flancs ne sont pas trop abrupts, les noyers et les chênes croissent avec vigueur. La vue de tous ces arbres, à tête arrondie, rappelle les vergers normands. Dans les lieux bien abrités, on voit aussi quelques figuiers. Les fleurs sont devenues rares ; la plus fréquente est celle du delphinium (pied d’alouette). Très bleue d’abord, elle devient, à mesure que l’altitude augmente, un peu plus pâle, puis rosée, enfin tout à fait rose.

Les Bakhtyaris possèdent plus de quinze cents tentes sur le plateau de Malamir. Ils y cultivent le blé, l’orge et le riz. Au mois de juin, la température n’étant que de 30 degrés à l’ombre, les récoltes étaient à peu près au même degré de maturité que celles de France à cette époque. Nos manipulations photographiques nocturnes, nos fréquentes visites aux talismans de la montagne (c’est ainsi que les indigènes appelaient les bas-reliefs et les inscriptions), n’étaient pas de nature à nous attirer leur confiance et leur estime. En présence de leur attitude de plus en plus hostile, notre mission étant d’ailleurs terminée, nous prîmes congé de ces hôtes peu bienveillans en souhaitant de ne jamais les revoir.