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— Vous avez bien fait de ne pas lui dire qu’il allait mourir !

— Pourquoi veux-tu qu’il meure? Son pied va pourrir, on crèvera l’abcès, et, le pus sorti, il marchera comme avant.

— Ne croyez pas cela, il mourra demain ou après-demain.

— Pourquoi donc?

— Comprenez. Il a été trompé par sa femme et il est devenu impur, voilà ce que signifient les deux points blancs que vous avez aperçus, et si celui qui l’a trompé les voyait, il mourrait aussi.

— Allah Kérim !

C’est tout ce que je pus trouver à répondre à ce singulier discours.

Dans toute l’étendue de la Perse, il y a peu de patois, les quelques modifications de langage sont faibles et n’embarrassent même pas les étrangers. A Dizfoul, il n’en est plus de même. Lorsqu’on a appris le persan, tel qu’il se parle à Téhéran ou à Chiraz, on a les plus grandes peines à comprendre les habitans. Outre les déformations qu’ils font subir à tous les mots persans et auxquelles on s’habitue assez vite, ils emploient un grand nombre de mots originaux qui ne sont ni arabes ni persans.

Au résumé, tout concourt à faire des Susiens un petit groupe très spécial au milieu de l’empire persan. Leur véritable centre est Dizfoul. A Chouster, le type est beaucoup moins apparent, la population est plutôt Bakhtyari. Les tribus arabes des environs de Suze offrent un grand nombre de sujets fortement marqués du caractère négroïde, mais jamais dans la famille des cheikhs, qui semblent avoir eu à cœur de conserver sans mélange le sang sémite. Le même fait se produit à Malamir ; où l’on retrouve quelques Susiens au milieu des Bakhtyaris, jamais parmi les chefs.

D’autre petits groupes ont subsisté : à Ram Hormuz et au long de la côte du Golfe-Persique, dans la partie voisine du Beloutchistan, en particulier à Bender Abbas et Lingeh.

En pénétrant dans la montagne, nous nous sommes trouvés, dès les premiers contreforts franchis, au milieu des Bakhtyaris. Entre tous les Persans ils se distinguent au premier coup d’œil. De petite taille, mais très bien constitués, on les reconnaît surtout à leur extrême brachycéphalie. Le diamètre de la tête d’avant en arrière est très court, tandis que le diamètre transverse est très long. Le front est extrêmement large, le menton assez pointu, en sorte que la figure d’un Bakhtyari, sans barbe, présente tout à fait la forme d’un triangle renversé. Ils ont le nez assez court, très fin, souvent aquilin, leurs yeux bruns ou gris regardent droit et ferme.

Ils sont excellens cavaliers et lancent au galop leurs petits chevaux de montagne sur des pentes où un cheval de plaine pourrait à peine marcher au pas. Peuple énergique et fier, leur insolent