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et je crains d’en être la cause. Quoi ! vous ne me répondez pas? De grâce, expliquez-vous, dit-elle en le regardant droit dans les yeux d’un air doux et interrogateur.

— Je ne vous ferai pas de longs discours, miss Ethel; mais je ne puis vous laisser partir sans vous ouvrir mon cœur, sans vous dire que je vous aime, que je vous adore ; que vous voir est le bonheur de mes yeux ; que vous entendre est la joie de mes oreilles. Que sais-je encore? Avant de vous connaître, j’étais un homme sérieux, et je ne puis plus ouvrir un livre; j’avais une nature calme et je suis en proie à une exaltation fiévreuse ; tout ce qui est beau me semble réfléchir votre beauté : le lis dans sa pureté, l’étoile dans sa blancheur !

— Monsieur Didier!.. Monsieur Didier !

— Étant aussi bonne que belle, vous me pardonnerez, j’espère, d’oser m’élever jusqu’à vous en vous demandant votre main.

— Ah ! vous me mettez dans le plus cruel embarras ; les choses que vous venez de me dire me font à la fois plaisir et peine ; peine, parce que je ne puis agréer vos vœux ; plaisir, parce qu’il m’est doux de voir que vous m’aimez. Votre démarche, tout inutile qu’elle soit, ne m’en touche pas moins profondément. A ma sympathie qui vous est acquise depuis longtemps, vient s’ajouter ma reconnaissance.

— Ah! que je suis malheureux! Ce que je souffre, disiez-vous tout à l’heure vous fait pitié et pourtant vous venez de me briser le cœur. J’avais cru que vous me regardiez avec bonté, j’avais cru hier soir, en vous quittant, que votre main tremblait dans la mienne, j’avais cru... mais je ne suis qu’un homme en démence que votre beauté a ébloui jusqu’à lui faire perdre la raison. Je vous aime plus que ma vie et je ne compte pour rien dans votre existence ! Pardonnez-moi ce rêve d’un jour, qui emporte avec lui la gaîté de ma jeunesse, l’espoir de mon avenir, le repos de mes jours !

Cette conversation fut interrompue par l’arrivée de M. Elsewhere; il s’excusa de n’avoir pu rentrer plus tôt, ayant eu un surcroît d’affaires, ainsi qu’il arrive toujours au moment d’un départ. De son côté, Didier, blême comme un spectre, exprime au dean le regret de ne pouvoir rester plus longtemps et prend congé du père et de la fille.

— Que M. D’Aumel est pâle et abattu! dit le dean d’un ton étonné. N’en avez-vous pas fait comme moi la remarque, Ethel?

— Oui, mon père.

— j’aurais voulu lui demander des nouvelles de sa santé, mais il ne m’en a pas donné le temps. Est-il malade?

— Il ne m’en a rien dit.