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en partie démontés et l’artillerie. Le bataillon d’Afrique n’attendait que le départ de l’ambulance pour la suivre. Pendant le défilé de la colonne, le commandant Changarnier avait fait recueillir quelques sachets de riz, de biscuit, de sucre et de café oubliés dans les bivouacs, et vider les gibernes des blessés et des malades; il s’était composé de la sorte une réserve de deux mille cartouches. L’évacuation du Coudiat-Aty était beaucoup plus lente que ne l’avait prévu le général; quand le T léger, réduit à deux cent soixante hommes, se mit à son tour en retraite, le soleil était à l’horizon, les assaillans étaient nombreux et la fusillade était vive. Déjà le bataillon se trouvait à couvert du canon de la place, quand au milieu des hurlemens de Kabyles on crut entendre des appels désespérés, des voix françaises. Le commandant remonta vivement la pente et aperçut une trentaine de soldats courant éperdus sous les coups de fusil et de yatagan; c’était un poste oublié par le bataillon d’Afrique. Enlevé par son chef, au son de la charge, le 2e léger s’élança au secours de ces infortunés camarades ; la moitié put être sauvée ; le reste fut massacré sans merci. Après ce retour offensif, le commandant Changarnier put descendre au Roummel et le franchir sous la protection du bataillon d’Afrique déployé sur la rive droite. La traversée de l’ambulance venait d’être attristée par une catastrophe déplorable. Ceux des blessés qui avaient pu trouver place sur les chevaux des chasseurs, sur les cacolets, sur les brancards, étaient passés sans trop de peine ; mais, parmi les malheureux que portaient à bras, sur des couvertures, des hommes épuisés de fatigue, qui n’avaient plus la force de soulever leur charge, beaucoup de ceux-là plongés dans l’eau, à demi noyés, avaient fait, en se débattant, lâcher prise aux mains glacées des porteurs; ils avaient disparu, emportés dans le courant rapide.

Sur le Mansoura la retraite avait été retardée par le désarmement des batteries ; les pièces ne purent cependant pas être emmenées toutes ; les deux obusiers confiés à Jusuf restèrent entre les mains des Arabes avec ses tentes, ses bagages et sa musique. Il fallut aussi abandonner le matériel du génie. Le départ de l’ambulance, moins précipité qu’au Coudiat-Aty, avec des moyens de transport mieux appropriés, se fit avec plus d’ordre; on ne laissa dans les grottes que trois mourans, un soldat du 62e et deux indigènes absolument hors d’état d’être emmenés. Il y avait encore dans ces abris un certain nombre d’hommes qui s’y étaient glissés en cachette ; ne sachant pas ce qui se passait au dehors, ils y restèrent et furent bientôt surpris par les Kabyles. Il était déjà plus de dix heures quand le Mansoura fut évacué.

Dégagé enfin des illusions qui l’avaient troublé trop longtemps, l’esprit du maréchal Clauzel avait repris toute sa lucidité ; l’homme